Il avait 42 ans, il avait le diabète et il avait déjà eu deux infarctus. Ce n'était pas assez. Il était prof de français et il était d'un courage exemplaire. Impressionnant ! Car il en fallait du courage, pour arriver à obtenir sa maîtrise, puis le feuilleton du CAPES, et celui des affectations sidérantes, l'une après l'autre, quand on avait comme lui, un dossier médical aussi chargé. Il a passé une année à ‘'Sawaf'', un patelin perdu du côté de Zaghouan, avec sa mère qui l'avait suivi parce qu'il était souvent sujet à des hypoglycémies qui l'avaient entraîné bien souvent à l'hôpital. Après ‘'Sawaf'' et ce long hiver froid, infernal, il avait rejoint ‘'Sidi Hassine'', où il avait enseigné dans un lycée à risques, dans une zone à risques, où s'attaquer à un professeur qui aurait eu l'heur et le malheur de nous déplaire, était monnaie courante. Mais lui il forçait le respect parce qu'il était juste, vraiment. L'année d'après heureusement, il a été affecté dans un établissement du côté de la cité Ibn Khaldoun et malgré son état de santé fragile, il s'est donné à fond la caisse à son métier qu'il adorait malgré tout, et qui était sa raison de vivre. Quand il a enfin eu sa titularisation, il a obtenu la meilleure note de l'inspection, parce qu'il était de la race des professeurs dont on parle dans les livres, et dont on garde le souvenir longtemps après…A la fin des cours et de l'année scolaire passée, on lui a offert comme ‘'cadeau'' une nouvelle affectation dans un bled perdu du côté du Kef ? Avez-vous entendu parler de ‘'Touiref'' ? Sa famille et lui si, et ils ne risquent pas d'oublier ce nom. Sa famille lui a déconseillé d'y aller, quitte à perdre son travail, mais il voulait faire les choses dans les règles. Comme toujours. Son dossier médical est entre les mains de toutes les personnes concernées, au ministère de l'Education nationale, au syndicat des enseignants, mais rien n'a été fait. L'administration bête et stupide, malgré l'insistance de certaines personnes de bonne volonté, faisait la sourde oreille. Il paraît que les ‘'roulements'' effectués avant la titularisation comptent pour du beurre. Il paraît qu'un dossier médical aussi lourd, compte pour du beurre aussi. Il avait envoyé un certificat médical, puis un autre, et le samedi 1er octobre il s'est levé à 2h30 du matin, s'est préparé, et il a pris un louage vers le Kef à 4 heures du matin. La route est longue qui va de Tunis vers le Kef. Et puis il fallait par la suite qu'il prenne un un autre louage de Jendouba à ‘'Touiref'', pour arriver enfin au lycée à 8h00 pile. Lui était ordonné comme une horloge suisse. Il ne se serait jamais permis un retard, fut ce de cinq minutes. Il a enseigné de 8h 00 à midi, mais ça faisait trop d'heures avec ce trajet pour quelqu'un d'aussi fragile que lui. Il était insulinodépendant, et il devait prendre pour son cœur, 14 comprimés par jour. Sa mère lui avait glissé un petit gâteau dans son cartable, et quelques morceaux de sucre au cas où. Il n'a pas eu la force de sentir qu'il était sur le point de perdre conscience, pour glisser même un morceau de sucre dans sa bouche. Il était à peine sorti du lycée, avait fait quelques pas avec un collègue, puis celui-ci est parti. Quelqu'un a couru derrière lui pour le prévenir que ce collègue qu'il n'avait connu qu'un bref instant, était tombé par terre, évanoui. Quand on l'a dépêché à l'hôpital de Jendouba, il était déjà mort. Sa mère l'attendait pour 15heures, il avait téléphoné à sa sortie pour dire qu'il arriverait chez lui à Tunis à cette heure-là. Il est rentré chez lui les pieds devant. Avec les formalités d'usage, il est arrivé chez les siens à 3 heures du matin. Il S'appelait Mohamed Mehdi Harrar, il était professeur de français ; et il était de santé très fragile. Au ministère de l'Education, son dossier dort encore. Il n'avait pas besoin d'intervention, ses maladies plaidaient pour lui. Je voudrais dire qu'il s'appelle Mohamed Mehdi Harrar, parler de lui au présent, ce n'est plus possible. Il paraît que la mort peut vous prendre n'importe où, n'importe comment. Mais lui est parti en ‘'martyr'' de la République, à sa manière, sacrifié sur l'autel de la bêtise hideuse de l'administration tunisienne. La post-révolution. C'est à mourir de rire. Il s'appelait Mohamed Mehdi Harrar, et des cas comme lui, il doit y en avoir. Il ne faut pas que ça se répète. Il s'appelait Mohamed Mehdi Harrar, et pardon mais c'était mon frère. Messieurs du ministère de l'Education, anciens et nouveaux, vous pouvez être fiers de vous! S.H. PS : Ses élèves étaient là pour le saluer avant son départ. Eux avaient le droit de pleurer. daassi [email protected] sonia ben aziza [email protected]