On le savait artiste, créateur plastique, mais il ne cesse de nous surprendre de ses effusions poétiques. Il s'agit bien de Sylvain Montéléone maître de céans à l'Espace Le Damier à Mutuelleville depuis de longues dates. D'ailleurs, rien qu'à lire les invitations qu'il adresse aux invités de sa galerie d'art, on sent la vocation poétique de l'homme à travers les textes pleins d'originalité et de créativité mêlées à une empreinte d'humour où le jeu de mots ne manque pas. Aussi peut-on lire dans l'invitation à sa dernière exposition intitulée "Kiosque indoor" ces lignes en prose poétique: "Expo où mes moments de prose et mes instants de pose sont mis en exergue par la photo souvenir, où fiction et réalité s'entremêlent dans mon art…". D'ailleurs le recueil de poésie que nous présentons à nos lecteurs aujourd'hui a accompagné la dite exposition qui s'est déroulée il y a environ un mois. Ce recueil regroupe non seulement des vers poétiques, mais également des textes en prose, des illustrations, des gravures et des photos que le poète qualifie de « reflet de mes états d'homme au nom des « droits de l'Ame ». Dans ce recueil, poèmes et œuvres picturales sont mélangés ; le poète- peintre a sans doute préféré la cohabitation de ces deux arts surtout qu'il n'est pas évident pour lui de faire la distinction entre les deux. En photo de couverture, on peut voir un tableau de peinture intitulé « l'échec est mat ». Dans l'introduction de ce recueil, on peut lire : « Entre une pose et l'autre, une pause suit, et c'est là que j'ai poussé mes premiers cris, mes premiers écrits, mes premiers écrans, mon dernier écrin, comme on pousse les quatre portes de la tradition soufi pour trouver mes quatre éléments : mon air, mon feu, mon eau, ma terre… ». Ces lignes suffisent pour nous donner un avant-goût à toute l'œuvre où nous découvrons les chagrins de l'homme, ses préoccupations présentes, ses détresses, mais aussi son attachement aux valeurs universelles (amour, paix, tolérance, justice…) et malgré tout, à la vie où tous les espoirs d'un monde meilleur sont encore permis. Les poèmes qui forment ce recueil oscillent entre autobiographie (« Mes premiers cris », « l e pacte de naissance », « portrait de famille »…), nostalgie du passé (Tissu urbain », « tranche de Borj », « flash back », « la ruée vers …nord »…), mais aussi des scènes vécues qui restent indélébiles dans la mémoire du poète (« narguilé nigth », « jeu et moi »…). Des cris de douleur sont poussés et des sentiments d'amertume et de désillusion émergent un peu partout, comme dans les vers suivants : « Des larmes salées/ Coulent le long/ De tes rivages/ Et cette mer/ Mère qui t'a bercé/ Dans ses longs bras bleus/ Tu es tachée de sang/ A cause de cet orage/ Qui obscurcit ton ciel… ». Le poème qui contient ces vers est traduit en arabe dans le même recueil. On y trouve même un poème en italien. Le même ton de révolte et d'indignation se retrouve dans les poèmes « Transes », « A portée de Tyr », « l'après-histoire » où l'on peut percevoir la désespérance d'un être d'une sensibilité à fleur de peau. Le recueil finit par un petit extrait du prochain livre du poète qui l'a intitulé, non sans un petit jeu de mots : « Mes moires d'outre-ombres », un titre qui rappelle le fameux titre de Chateaubriand « Mémoires d'outre-tombe » Le poète procède d'un jeu de mots en employant diverses tournures de création verbale provoquant parfois une certaine équivoque chez le lecteur : « Vers sots…vers sauts…vers seaux… », « Ces violons au rythme violent » en inventant tantôt des calembours « Une chute de reins…un âge d'Airain, faux cils…fossile » ; en jouant tantôt sur l'homophonie ou la paronymie des mots : « Fibres, vibrent, libres…», « Cantique et quantique », « esquisse d'esquif », « comment taire ces commentaires ou une terre se terre ?» ou encore « Si les choses promises sont dues, les choses permises sont tues » et « la science infuse, diffuse et refuse… ». On relève même des mots inventés, tels ces qualificatifs : « Ma rue oasissante »( qui vient d'oasis), « sueurs caduminées » (qui vient du savon Cadum, ou « des airs féridiens » (relatif au chanteur Férid) ainsi que des mots-valises, comme dans ces titres donnés à trois de ses poèmes : « L'ivre…de bord », « l'an…demain » et « photo…échoppe » où il s'agit de juxtaposer deux parties de mots différents pour en former un seul. Le poète a eu recours également à des mots arabes, plutôt tunisiens, puisés dans le patrimoine langagier quotidien, illustrant son grand attachement au langage populaire et aux traditions de ce pays qui l'a vu naître et qu'il aime tant. Ainsi, on relève ces mots populaires un peu partout : Borj, « canoun », « noufi », « chkoba », « tombac » « zlebias », « kharja ». Bref, on repère dans les textes pas mal d'écarts au niveau linguistique, toujours inhabituels, voire insolites et différents du langage commun, sans pour autant défigurer la réalité des choses. C'est dire que Sylvain Montéléone a plusieurs cordes à son arc de poète et passe pour un grand jongleur de mots. Le recueil est publié à compte d'auteur, mais en petite quantité. Espérons le voir bientôt sur le marché afin que les lecteurs férus de poésie puissent savourer avec bonheur les vers de Montéléone dans lesquels ils découvriront non seulement la part intime du poète mais aussi son sentiment profond d'appartenance à ce pays, la Tunisie ! Rappelons que Sylvain Montéléone est un célèbre galeriste multidisciplinaire (peinture, décor, design…) il est aussi poète et a déjà publié un recueil de poèmes «Le voyageur du silence» (1985) et un autre en 1999 intitulé «Tunis émoi». A propos de ses origines tunisiennes, il écrit dans un extrait publié à la fin de son recueil : « Je suis né à Tunis le 2 février 1947 au 6 rue de Belfort (Actu : Mohamed Agrebi), dans une petite maison donnant sur une cour avec vue sur ma mère qui étendait le linge par un harmattan lointain… » Hechmi KHALLADI
** « Moments de Prose… Instants de pose », de Sylvain Montéléone, 2011, 90 pages.