Le texte dramatique: un texte, plusieurs vies , tel est le thème ayant, réuni, lundi 9 janvier, plusieurs auteurs, universitaires, comédiens et éditeurs de Tunisie et d'autres pays étrangers venus discuter, penser ensemble les meilleurs moyens d'écrire un texte dramatique, échanger comment sentir une pièce de théâtre et surtout croiser leurs expériences respectives. Dans la Tunisie post-révolutionnaire, beaucoup pensent que les interdits sont tombés, les tabous ont sauté et qu'il est aujourd'hui permis de tout dire à condition de respecter les normes en vigueur, plus particulièrement celles relatives à l'esthétique et à l'art lui- même. Mais d'abord, ne faudrait-il poser ces questions qui dérangent un peu ou même beaucoup ceux dont les certitudes sont déjà arrêtées et qui considèrent que la situation difficile dans laquelle se trouvent et les auteurs dramatiques et l'écriture théâtrale est la faute du régime déchu et de ses sbires intellectuels qui s'arrogeaient tout et empêchaient les auteurs libres de faire leur métier. Il est vrai que cette vision des choses n'est pas totalement erronée. Il reste, cependant, une grande part de responsabilité aux auteurs dramatiques qui n'ont pas réussi à s'adapter aux réalités politiques et sociales et qui ont fini par disparaître laissant la voie libre aux metteurs en scène qui se sont révélés auteurs produisant leur propre texte. D'autres raisons sont derrière l'absence d'auteurs dramatiques et d'édition théâtrale. Ainsi, l'universitaire et critique Mohamed Moumen est-il revenu à l'expérience du groupe du nouveau théâtre qui en voulant éditer ses pièces théâtrales nées d'une écriture collective s'est trouvé confronté à la paternité du texte qui va être édité et opposé, par la même, au problème de la propriété intellectuelle de l'ouvrage à faire paraître et qui devait comprendre les pièces du groupe. Pour le metteur en scène Abdelghéni Ben Tara, le problème est encore plus simple: «Aujourd'hui, l'exception est devenue la règle. Les écritures collectives ont fini par tuer les écrivains dramatiques. Ainsi, chaque metteur en scène est devenu son propre auteur. Et puis l'écriture dans le langage parlé est un véritable frein à l'édition, sans oublier les droits d'auteur qui ne sont pas respectés». Sonia Zarglayoun semble ne pas partager totalement les idées de ses collègues bien qu'elle reconnaisse, d'emblée, «qu'il n'y a pas d'auteurs dramatiques en Tunisie. Seulement, nous professionnels du théâtre, on ne fait rien pour découvrir ceux qui ne sont pas connus et on n'essaye pas d'accompagner ceux qui, malgré tous les obstacles dressés sur leur parcours, s'obstinent et produisent des pièces de théâtre que nous exploitons comme des Kleenex, c'est-à-dire que nous les abandonnons et oublions, une fois la première représentation est passée. Pourquoi ne pas revenir à ces textes, les produire une ou plusieurs fois de nouveau, avec une nouvelle perception et selon un nouvel angle». Et l'actrice traductrice de textes théâtraux de se poser la question; «Qu'est-ce qu'on doit faire après la révolution? Pourquoi ne pas mettre en place une banque de textes dramatiques?». L'idée est à creuser. Reste qu'il faut penser aux mécanismes juridiques à créer afin de dépasser la situation actuelle où chacun défend, tout seul, ses couleurs sans se soucier, le moins du monde, d'une association ou d'un club de dramaturges qui défendraient mieux les intérêts des auteurs de théâtre?. Des appréhensions, des doutes qu'Emile Lansman, éditeur (Belge) dissipe d'un tour de main en soulignant: «Ce que vous vivez ici, c'est ce qui se passe partout. Dans le monde entier, il n'y a pas d'auteurs dramatiques. Quant aux associations d'art dramatique, elles posent partout la même problématique dans la mesure où chaque auteur espère en tirer le maximum d'intérêts à lui seul». De son côté, Rolf C. Hemble, auteur (Allemagne) relève qu'au début des années 90, «les jeunes auteurs ont formulé des exigences au niveau du théâtre et sont arrivés à mettre en œuvre des textes avec les metteurs en scène, seulement les structures théâtrales officielles étaient réticentes et les grandes scènes n'ouvraient pas leurs portes aux jeunes qui étaient marginalisés». Le débat se poursuit encore tant que les problématiques qu'on croyait résolues finissent toujours par ressurgir dès que les hommes de théâtre commencent à penser à haute voix.