Jakob Kolster, Directeur du Département Régional Afrique du Nord, à la Banque Africaine de Développement (BAD) «Nous aiderons la Tunisie dans des financements par des prêteurs non conventionnels» Le Temps : Vous avez rencontré le ministre des Finances. Quelles sont les conclusions que vous avez tirées de cette rencontre ? Jakob Kolster : C'était une visite de courtoisie qui s'inscrit dans le cadre de nos visites à plusieurs ministres nouvellement nommés. La rencontre avec le ministre de Finance a été une occasion propice de lui indiquer que la BAD est toujours là pour soutenir la Tunisie dans le proche et le moyen terme. On a discuté les besoins de la Tunisie pour l'année 2012, année qui semble difficile si l'on tient compte des répercussions de l'arrêt de l'activité économique début de l'année dernière. Le ministre a été très partant pour reprendre et mettre en place un cadre de la stratégie de la coopération avec la BAD. Cette nouvelle stratégie dont le cadre général est déjà préparé à la BAD s'étale sur les deux années à venir. Une stratégie innovatrice qui vise le soutien de la Tunisie dans cette phase de développement. Quelles sont les grandes lignes de cette stratégie ? Ce sont en fait deux axes. Le premier c'est d'augmenter la croissance économique. Le deuxième axe s'articule autour du développement de la notion d'équité dans le développement régional et social. Concrètement, il n'y a pas encore des actions concrètes. Nous avons mis en place le cadre général de cette stratégie, mais, les actions concrètes seront discutées avec le gouvernement et la société civile. Quel sera le budget alloué à cette stratégie ? On est une banque. La plupart du budget alloué à cette stratégie est un prêt sur trente ans avec une période de grâce de dix ans et un taux d'intérêt de 1% reflétant le statut de notre banque entant qu'institution de développement. Le montant global reste à discuter avec le gouvernement selon les besoins. Nous avons quand même une limite. Comment la BAD pourrait-elle aider la Tunisie (dans le cadre des promesses du sommet de Deauville) à mobiliser des ressources de financements externes ? Nous avons affirmé aux ministres, que nous avons déjà rencontrés, que la BAD pourrait aider la Tunisie à mobiliser des financements des prêteurs non traditionnels à l'instar des pays nordistes (Suède, Danemark et la Finlande). La Tunisie connaît bien les partenaires classiques mais elle ne connaît pas cette nouvelle gamme de partenaires. Nous avons aussi proposé au gouvernement de maintenir de nouveaux partenariats avec des pays tels que la Chine, l'Inde et le Brésil. Comment évaluez-vous la situation économique actuelle de la Tunisie ? Quand on regarde l'avenir du pays sur le moyen terme, on remarque qu'il y a une ouverture sociale et économique qui pourrait vraiment soutenir une croissance nettement supérieure à celle enregistrée durant les dernières années (croissance qui tourne autour de 4,5%). Ça serait probablement une croissance plus inclusive car nous remarquons que la nouvelle tendance politique s'intéresse de plus en plus à l'équilibre régional. Dans le court terme, entre autres dans les 24 mois à venir, il y a des défis très importants. Premièrement, il y a une population qui a sacrifié et qui attend. Ces attentes sont jusqu'à maintenant ces attentes sont remplies sur un seul niveau : la liberté d'expression. Cette liberté d'expression ne suffit pas pour les nourrir. C'est là le principal défi. Il faut créer un cadre de confiance au pays et au gouvernement, pour permettre aux investisseurs et aux opérateurs économiques de revenir en Tunisie, investir et mettre en marche la machine économique. Jusqu'à maintenant, les grands opérateurs économiques restent toujours en Tunisie et attendent encore. Actuellement la Tunisie a son gouvernement légitiment élu, il faut donner des signaux forts aux opérateurs économiques pour les rassurer. Nous avons déjà de très bonnes intentions exprimées, que ce soit le parti Ennahdha ou les autres partis au gouvernement concernant la lutte contre la corruption, la promotion du tourisme…actuellement il faut avoir des décisions concrètes. Les ministres que nous avons rencontrés sont très ouverts et très intéressés pour contribuer à la relance économique. La question d'endettement du pays crée encore de la polémique. Que pensez-vous de la situation d'endettement de la Tunisie ? Si les demandes sont importantes aux niveaux des dépenses de l'Etat et en parallèle il y a une réduction des recettes, il est normal de recourir à l'endettement. Il y a trois façons en fait. La première concerne l'injection de liquidité sur le marché par la banque centrale. Ça crée de l'inflation. Deuxième solution : c'est de recourir à l'endettement intérieur via l'émission des obligations. Il faut faire attention, car on risque de freiner le secteur privé qui a besoin de liquidité. La troisième solution concerne le financement extérieur. Par rapport aux autres pays qui ont la même situation et le même niveau de revenu, la Tunisie est vraiment un pays avec des indicateurs considérables (par rapport à l'Egypte et le Maroc. La Tunisie est même classée mieux que la Libye et l'Algérie concernant son futur. Ainsi, ce qu'on a remarqué en Egypte, c'est que l'endettement intérieur est énorme contre un endettement extérieur faible. Telle situation a des retombées négatives sur l'économie et surtout le secteur privé. La Tunisie a bien géré la balance entre la dette extérieure et celle intérieur. Sa dette extérieure demeure inférieure à quelques pays européens, l'Italie et la Grèce en l'occurrence. Je dirais que l'endettement extérieur de la Tunisie ne peut pas causer de problèmes. Mais, ça causerait énormément des problèmes si la croissance économique est freinée. Est-ce normal qu'un pays demande l'annulation ou la réduction de ses dettes ? Je pense que ce type de propositions peut être discuté à l'intérieur du pays. C'est aux Tunisiens de discuter les avantages et les inconvénients d'une demande d'allègement de la dette extérieure. Les inconvénients sont clairs. Une telle demande engendre un prix à payer. Quand on demande un allègement de la dette on va payer un prix élevé si on va s'endetter ultérieurement. Les créditeurs vont donc exiger un prime supérieure en cas d'endettement. L'allègement de la dette va parallèlement réduire les tensions sur le Budget de l'Etat. La Tunisie a une histoire impeccable dans le marché international. Elle n'a jamais demandé un allègement de sa dette. Je pense que c'est un bon signe pour les créditeurs internationaux. A cet égard, il convient de préciser que c'est important d'avoir des discussions autour de ce thème. Comment évaluez-vous le secteur bancaire en Tunisie ? La Finance Islamique pourrait-elle créer de la dynamique au sein de ce secteur ? Le secteur bancaire dénombre une vingtaine de banques. Il y a des banques qui ont suivi des directives assez strictes du gouvernement et ont beaucoup financé les investissements. D'autres ne le sont pas. Mais, de toute façon je pense que le secteur a besoin d'une certaine consolidation. Concernant la Finance Islamique, je pense qu'elle serait une manière de mobiliser plus de ressources à travers une population qui voudrait bien avoir des produits conformes à leur religion.