L'élaboration de la constitution tunisienne connaît un nouveau virage consécutif à l'adoption par le parti Ennahdha d'une position consensuelle défendant le maintien de l'article 1er de la Constitution de 1959 stipulant que la Tunisie est un Etat libre, sa religion est l'Islam, sa langue l'arabe et son régime la République. Cette position à mettre à l'actif d'Ennahdha, a été défendue par un grand nombre de Tunisiens, d'intellectuels et de personnalités faisant partie de l'élite du pays, sans oublier la grande majorité des partis politiques représentés ou non au sein de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC). Une des prises de position qui a attiré l'attention des observateurs vient de Mustapha Filali qui a eu la chance, aux côtés d'Ahmed Ben Salah et Ahmed Mestiri, de vivre les deux époques contemporaines de la rédaction de la constitution de 1959 et l'actuelle. Mustapha Filali, pense que le travail actuel de l'Assemblée Nationale Constituante ne part pas de rien. Il avait affirmé, dernièrement en substance que « Nous avons des références héritées dans la culture politique durant près de 150 ans. Il faut tirer les leçons des erreurs de notre génération qui a omis de s'inspirer de la Constitution de 1861 et avait penché pour un réalisme conjoncturel. Il y avait un déficit d'avenir ». Il considère que cette position démissionnaire fait la différence entre sa génération et la génération actuelle des bâtisseurs de la Révolution. L'adhésion des jeunes de La Kasbah, Sidi Bouzid et Kasserine aux valeurs de Dignité, Liberté et Justice est une preuve de rationalité et de confiance en soi et en l'avenir. Les difficultés de la période transitoire ne sont pas occultées par Mustapha Filali. Il reconnaît que faire tomber un régime est plus facile que de bâtir un autre. L'unité constatée lors de l'abolition de l'ancien système, cède la place aux divergences lors du choix du système alternatif à mettre en place. « Notre peuple passe par ce difficile obstacle. Les forces politiques à l'intérieur et à l'extérieur de l'ANC, s'enlisent dans de grandes divergences dans les choix méthodologiques pour l'élaboration de la Constitution. », dit-il. Les questions de l'identité de l'Etat, des références culturelles de la société, la place de la Chariâa, ont suscité des discussions parfois enflammées. Le choix du régime politique, présidentiel ou parlementaire, les mécanismes d'équilibre entre les pouvoirs et leurs limitations sont aussi des points de divergences. Mustapha Filali, rappelle que la Constitution de 1861 avait résolu certaines de ces questions. Le chef du pouvoir exécutif (le Roi) était responsable devant le pouvoir législatif (le Grand Conseil) et il perdait sa légitimité s'il ne se conformait pas à la Constitution. Ses décisions ne devenaient exécutoires que si elles gagnaient l'adhésion de la majorité des membres du Grand Conseil. Concernant la référence à la Chariâa dans l'élaboration des lois, Mustapha Filali fait la distinction entre le contenu de la Chariâa et l'environnement politique et culturel actuel. Chaque Etat a son identité. La Constitution tunisienne de 1959 avait tranché la question de l'identité, puisque l'Islam est la religion de l'Etat et l'arabe sa langue. C'est un débat ancien qui remonte à la première génération de l'Etat musulman. Les fondamentalistes reconnaissent que plusieurs intérêts des êtres humains n'ont pas été définis par un texte clair. Les exégètes affirment que les intérêts des êtres humains varient selon les conditions sociales, culturelles et économiques de la société. « Al Ijtihad est appelé à préciser ces centres d'intérêt ». Ce sont des écueils à éviter par les membres de l'Assemblée Nationale Constituante dans le traitement de la question de la place de la Chariâa comme source fondamentale pour l'élaboration des lois. Deux aspects politiques doivent être pris en compte. Le premier est la compréhension des citoyens dans toutes leurs composantes sociales, intellectuelles de l'application de la Chariâa. Son contenu se limite-t-il à la lapidation de l'adlérienne, ou à couper la main du voleur ? Le deuxième aspect concerne le degré d'acceptation de ce projet sans créer des divisions et une guerre de religion difficile à éviter. Le message de Mustapha Filali a été bien saisi. La Chariâa ne sera pas une source fondamentale de la législation dans la prochaine Constitution. L'article 1er de la Constitution de 1959 sera maintenu.