« Je vous parle d'une hydre qui souilla la bannière Je vous parle de la tempête de nos colères Je vous parle de nos détresses, de nos désarrois Je vous parle de nos luttes, de nos combats Et de l'espérance qui verdit ». Soudain, ce fut la nuit de la répression, alors que la pourpre des bannières illuminait le ciel et que l'âme bénie des martyrs planait, aérienne et heureuse. La brume couvrit la luminosité d'un jour de retrouvailles et de souvenirs. L'air, devenu irrespirable, sentait la haine et l'enfer. Odeur âcre des désillusions, tu nous pris à la gorge, étouffas nos chants et brûlas nos paupières meurtries par les larmes amères de la déconvenue. Journée de deuil, assombrie par la barbarie qui nous aveugla. Nous pleurions, encore, les martyrs fauchés à la fleur de l'âge et dont le sang est encore chaud et frissonnant et nous voila pleurant une Révolution foulée aux pieds, piétinée et foudroyée, par une belle journée de mémoire. L'horreur s'abattit sur une marche pacifique et étouffa ce beau rêve de liberté qui nous animait depuis plusieurs mois, que nous portions comme on porte l'enfant du bonheur. La terre se déroba sous nos pas et le gouffre nous aspira. Aux cris de douleur, se mêla l'amertume de la trahison et du questionnement : ce peuple s'est-il soulevé contre une dictature impitoyable pour se retrouver broyé par l'impensable et l'intolérable ? Pourquoi êtes-vous partis, enfants chéris, à la chair martyrisée et la mémoire souillée ? Pourquoi ont-ils choisi votre jour et notre fête pour déployer tant de violence, d'agressivité et de haine déversée ? J'ai vu la brutalité sévir, j'ai vu la haine et la frénésie des coups, j'ai vu les matraques s'abattre et les corps ployer, j'ai vu la férocité des gestes et la haine dans les regards. J'ai vu le mépris et l'avilissement. J'ai vu le spectacle hideux de la déchéance. Je vous parle de ceux, venus nombreux, respirer une liberté nouvelle qui sent le mimosa d'un printemps singulier et qui se retrouvent dans l'étau de la répression. Je vous parle de ceux qui inondent la ville de l'emblème d'une citoyenneté retrouvée. Je vous parle des bannis, des marginalisés qui ont marché, durant des jours, harassés et épuisés, pour venir partager l'émotion d'un moment et dire leur détresse de chômeurs. Je vous parle de ceux dont la gorge est asséchée et la voix éraillée. Je vous parle de ceux qui retrouvent une parole confisquée, cisèlent des slogans pour tisser un espoir nouveau. Je vous parle de ceux qui se retrouvent après s'être perdus dans le brouillard des années de souffrance. Je vous parle de ceux qui se réapproprient une Histoire défigurée, qui réinventent leurs fêtes. Je vous parle de ceux qui fracassent le silence, tissent des mots nouveaux pour dire leurs maux, leurs préoccupations, leur colère. Je vous parle de ceux, venus, si nombreux, défendre une démocratie blessée, livrée aux pillards de la pensée, aux bourreaux des libertés. Je vous parle de ceux, venus, si nombreux, déchirer le voile des ténèbres. Je vous parle de ceux « dont l'unique combat est de chercher le jour ».