La tension était très vive, hier, à Sidi Bouzid. Epicentre de la contestation qui avait chassé Ben Ali du pouvoir, la ville a été partiellement paralysée par une grève générale décrétée par une quinzaine de syndicats sectoriels affiliés à l' Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), dont ceux de l'enseignement primaire, des agents municipaux, de la santé, et de l'enseignement et de la santé publique. Bien qu'elle n'ait pas recueilli l'aval du Bureau exécutif de l'UGTT comme l'exigent les règles d'usage, la grève générale a été globalement bien suivie même si les boutiques et les cafés ont presque continué à fonctionner normalement. Plusieurs établissements publics, dont des écoles, des lycées, des centres de soins et des agences bancaires et la poste ont suspendu leurs activités dès le matin. «La grève générale qui n'a concerné que certains secteurs relevant du secteur public a été décrétée en signe de protestation contre la marginalisation et l'exclusion de la région de Sidi Bouzid. Jusqu'ici, le gouvernement fait preuve de laxisme en ce qui concerne la satisfaction des revendications de cette région », souligne Touhami El Héni, secrétaire générale de l'Union régionale du Travail de Sidi Bouzid. Et d'ajouter : «les grévistes ont également voulu protester contre la répression brutale de la manifestation organisée le 9 avril sur l'Avenue Habib Bourguiba à Tunis à l'occasion de la fête des martyrs. La répression policière a touché particulièrement les jeunes de Sidi Bouzid qui s'étaient dirigés à pied vers Tunis pour réclamer des emplois et une meilleure répartition des richesses ». En ce qui concerne la désolidarisation de l'UGTT de la grève décrétée par des syndicats régionaux (la direction de la principale centrale syndicale avait affirmé hier qu'elle ne cautionne pas ce mouvement de protestation, NDLR), M. El Héni précise que les statuts de l'UGTT permettent aux unions régionales de décréter une grève générale d'une journée sans consulter les hautes instances dirigeantes de l'organisation. Cela n'a pas empêché certains syndicalistes locaux qui ont préféré garder l'anonymat d'affirmer que la grève générale régionale d'hier mêlait revendications légitimes et arrière-pensées politiciennes. Deux mille manifestants D'autre part, une manifestation bruyante a été organisée vers le coup de 11 heures. Quelque 2000 manifestants, selon des sources syndicales, ont laissé éclater leur colère contre la mauvaise tournure qu'a prise «leur révolution», tout en dénonçant la « marginalisation » de leur région et « les promesses non tenues du gouvernement» en matière d'emploi, de développement régional et de justice sociale. «Emploi, liberté dignité», «Non aux nouveaux Trabelsi», «Non à la marginalisation de Sidi Bouzid », « islamistes d'Ennahdha, marchands de la religion» scandaient notamment les manifestants. « C'est nous qui avons libéré le pays. Les Bouzidiens sont déçus et ont le sentiment d'être marginalisés pour la deuxième fois », s'est offusqué Nidhal, Ali Zaraî, secrétaire général du syndicat régional de l'enseignement secondaire. « Nous avons l'impression que les partis politiques se partagent le gâteau alors que les gens qui ont payé un lourd tribut à la révolution n'ont rien récolté. Qu'on nous donne au moins un message rassurant pour que l'on puisse voir la lumière au bout du tunnel », a martelé de son côté , Anouer Hamdi, un diplômé chômeur. Fiers d'être les instigateurs de la révolution, les habitants du berceau de la révolution tunisienne sont sceptiques sur l'évolution des choses depuis les élections. Les attentes y étaient très fortes avant les élections, non seulement parce que c'est de là que le soulèvement est parti mais aussi parce que la région apparaît comme historiquement laissée pour compte. Avec plusieurs dizaines de milliers de demandeurs d'emploi, dont près de 10.000 diplômés de l'enseignement supérieur, Sidi Bouzid détient le triste record national du chômage.