Dans le cadre de la semaine du film coréen qui s'est tenue à la Maison de la culture Ibn Khaldoun, plusieurs excellents films ont été projetés dont « Poetry » traduction poésie, quelle idée de réaliser un film dont la thématique principale est la poésie. Cette idée vient du réalisateur sud coréen Lee Chang Dong. Ce dernier raconte comment une grand-mère, aide à domicile pour personnes âgées, atteinte d'Alzheimer, s'inscrit à un cours de poésie. Elle s'occupe également de son petit fils mêlé à un viol d'une jeune fille qui s'est suicidée. Avec ces petits éléments, Lee Chang Dong réussit avec une simplicité désarmante un film remarquable et d'une sensibilité à fleur de peau qui lui a valu d'ailleurs le prix du scénario au festival de Cannes 2011. Le film n'aurait pas eu cette intensité sans Yun Jung Hee, une grande comédienne révélée dans les années 60, qui a arrêté sa carrière et revient avec ce rôle de Mija, une femme déterminée qui croit toujours qu'il y a encore des choses à apprendre dans la vie et que la création en l'occurrence, l'écriture poétique, peut la sauver de la déchéance et en faire un être singulier. L'auteur de « Secret sunshine », prix d'interprétation au festival de Cannes 2007, la suit avec distance dans son quotidien difficile mais au milieu duquel il y a une sorte d'éclaircie, un moment où la parole se libère de toutes les contraintes d'une vie trop matérielle dans laquelle les gens font la course à la consommation et tournent le dos à la création. On suit donc le parcours de cette vieille femme d'un autre temps, qui subit un monde cruel et barbare où tout s'achète et se vend même les sentiments. Ce n'est que dans un cours de poésie que Mija trouve son bonheur car le professeur lui apprend à regarder les choses comme si c'était la première fois. Avoir un regard neuf sur l'environnement est important comme il le dit « Ce qui importe ce n'est pas d'écrire un poème, mais d'avoir envie d'en écrire un ». Du coup, Mija, dont la mémoire flanche, tente de remplacer les mots qui lui échappent par ceux que l'inspiration peut lui procurer. C'est alors que son regard sur la nature change et l'écriture devient un refuge pour fuir une réalité accablante de tristesse. La poésie possède ce pouvoir supérieur de réinventer le monde. L'écriture scénaristique de « Poetry » est proche de l'écriture littéraire. D'ailleurs, le réalisateur est aussi romancier. Les séquences sont juxtaposées de telle sorte qu'elles dégagent un sens à une construction dramatique assez complexe. Et c'est tout le plaisir du spectateur de suivre ce récit comme s'il lisait un roman. Le film défend avec brio l'idée du choc entre deux mondes : le matériel caractérisé par la cruauté et l'immatériel plus humain et beaucoup moins stressant. D'aucuns diront que c'est une vision manichéenne, mais c'est vite aller en besogne et ignorer le sens caché de ce film saisissant de beauté qui tente de secouer la conscience de l'homme et de titiller son humanité.