Deux jumeaux, Sameh et Samah, vivent dans un quartier populaire de Tunis. Ils ont fréquenté l'université durant les années soixante-dix et ont milité dans les rangs du mouvement étudiant. Alors que les jumeaux sont en état d'arrestation, leur ami Mourad se retrouve dans une posture difficile : s'il ne dénonce pas ses autres camarades, son père sera accusé de haute trahison pour des motifs fallacieux ... Ce monologue intitulé Haute trahison ou les jumeaux, écrit par Ahmed Ameur, mis en scène par Mohamed Kchaou et produit par la compagnie Bidaa de création théâtrale a été interprété avant-hier par Manel Abdelqaoui dans le cadre de la semaine de la femme créatrice organisée par le festival d'Hammamet. Ce monologue joué devant un public restreint faute de publicité a fait partager aux spectateurs un instant de pure prose, durant lequel les mots de Manel Abdelqaoui s'enchaînent pour dire beaucoup de choses sur notre univers. « Mon but disait le metteur en scène Mohamed Kchaou est de montrer que la Tunisie n'appartient à personne et que l'intérêt du pays doit primer sur l'intérêt du parti politique. La priorité absolue est de parvenir à un consensus ajoutant que la révolution ne signifie nullement la division, ni n'est synonyme de conflits. Et là ce monologue nous a rappelé ces moments difficiles vécus par nos étudiants et leur militantisme pour faire face au despotisme et à la dictature. Une seule personne s'active sur la scène tout au long de la représentation. Manel fait un diagnostic personnel et sans complaisance sur la société et les hommes. Les sujets sont relatifs à l'université, la torture, les arrestations mais aussi l'amour, la politique, la condition féminine, la trahison.... A travers ce monologue, elle essaie de dire des choses que les gens vivent, des choses qu'ils subissent, mais dont ils ne se rendent compte que quand quelqu'un le raconte. Une sorte de miroir en face duquel tout le monde peut se retrouver pour voir ses propres tares. Cette jeune actrice douée a réussi à accrocher le spectateur et à transmettre son message tout au long de la représentation. La pièce propose également une halte dans les années soixante- dix vécues par la Tunisie à une certaine période, se voulant un plaidoyer contre l'oubli envers ceux qui ont été victimes des arrestations ciblant des artistes de renom, des étudiants, des militants politiques. Manel , dont la prestation s'apparentait à une véritable performance, puisqu'elle a incarné plusieurs personnages très colorés, a évoqué certaines thématiques épineuses et d'une brûlante actualité, tout en posant un regard à la fois critique et humoristique sur notre société. Sa performance est remarquable. Seule sur un plateau nu, elle livre le combat de cette femme avec sincérité. C'est en effet une véritable lutte, contre sa douleur, contre elle-même et contre le monde entier. Dans un espace ouvert, elle fait osciller son personnage entre son enfermement et le monde extérieur qu'elle redoute et déteste. Loin d'être parfait même s'il est très intéressant, le monologue a connu quelques moments difficiles, notamment dans le rythme car il y a avait trop de personnages. L'espace comme nous le précise le metteur en scène était divisé en deux. Un espace réel dominé par Manel et un autre virtuel représenté par la télé, les cafés, les rumeurs et ce que l'on dit. La lumière, elle, semble jouer sur la comédienne et l'accompagne dans ses changements d'état. « Twama » est un monologue courageux qui dessine les contours de notre société, de cet univers tunisien pleine de contradictions, où l'amour et les bons sentiments n'ont presque plus de place ! Mais l'espoir persiste tant que des personnes comme Manel continuent de rêver...Un texte magnifique, servi par une comédienne de talent, sur une mise en scène intelligente et travaillée. « Twama » est un monologue dur, puissant et bouleversant. Il reste que c'est une œuvre à voir absolument. Surtout pour admirer l'incroyable talent de Manel Abdelkaoui qui mérite le détour...