Mardi prochain, l'Assemblée Nationale Constituante, tiendra une séance plénière pour débattre de la loi instituant l'Instance Supérieure Indépendante des Elections, organisme à travers lequel jailliront les résultats des prochains scrutins électoraux et dont dépend en grande partie la crédibilité des opérations de vote. La mise en place de cette instance est ardemment revendiquée par tous les acteurs sur la scène politique. C'est une première étape combien importante pour fixer un agenda et déterminer les prochaines échéances électorales. Beaucoup de projets ont été proposés pour le cadre juridique de cette instance.
De son côté, le Centre Carter qui avait observé, minutieusement les élections de la Constituante et décidé de suivre le processus de rédaction de la Constitution et la mise en place du cadre institutionnel et juridique pour les prochaines élections, ne pouvait pas ne pas s'intéresser à l'action de l'ISIE et aux projets de loi la concernant.
Ses remarques sont établies en prenant pour repères les lois nationales et les obligations de la Tunisie en vertu des traités internationaux auxquels elle a adhéré, y compris, entre autres, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dans un communiqué publié, dernièrement, le Centre Carter « félicite la Commission de législation générale de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) pour son approche consultative concernant le projet de loi portant sur l'établissement d'une instance électorale. La Commission a pris des mesures importantes pour promouvoir la participation du public au processus, en impliquant des parties prenantes extérieures. Toutefois, malgré ces efforts, le projet de loi qui doit être examiné la semaine prochaine par l'ANC manque encore de mesures suffisantes pour garantir la transparence et l'indépendance de l'instance. Le Centre encourage l'ANC à adopter les dispositions légales nécessaires afin de garantir que les élections en Tunisie soient organisées par une instance totalement transparente et indépendante ».
Dans cet ordre d'idées, il signale que « le respect des standards internationaux sur la transparence exige de la part de l'instance de diffuser suffisamment d'informations afin de permettre aux acteurs politiques et aux citoyens de vérifier par eux-mêmes et de manière indépendante l'intégrité de chaque étape du processus électoral, et en particulier le dépouillement des bulletins et l'agrégation des résultats. En permettant la vérification de chaque étape du processus, l'instance renforcera l'intégrité des élections ainsi que la confiance de l'électorat dans les résultats, et sera à l'abri de toutes ingérences extérieures ».
La transparence n'est pas totalement garantie dans le projet de loi actuel. Les experts du Centre pensent que « ces garanties sont insuffisantes. Il est seulement prévu que les règlements de l'instance seront publiés au journal officiel (article 19). Cette obligation ne garantit pas un accès complet et en temps utile à l'information portant sur le processus électoral ».
Par ailleurs, la publication des résultats par bureau de vote, même si elle n'est pas exigée par les obligations internationales, elle est bien souhaitée et appréciée pour permettre à un Etat de remplir ses obligations en matière de transparence et d'accès à l'information. Si cette exigence n'est pas inscrite dans le texte actuel, elle pourrait l'être dans la loi électorale.
Pour davantage de transparence, le Centre recommande que le texte régissant l'instance électorale rende obligatoire la publication immédiate de toutes les décisions et règlements de l'instance sur son site web, la publication, en temps utile, des résultats complets des élections sous forme désagrégée, afin de permettre une vérification adéquate de ces résultats durant la période consacrée aux plaintes et appels et la tenue de sessions d'informations régulières avec les partis politiques, les candidats, les médias et les observateurs.
A côté de la transparence, c'est l'indépendance de l'ISIE qui a attiré l'attention des experts du Centre Carter. Ils considèrent que cette indépendance est essentielle pour «garantir que le processus électoral soit mené de façon impartiale et soit à l'abri de toute ingérence extérieure ». Il y va de la confiance des électeurs et des candidats dans l'opération électorale. Cette indépendance exige que « les membres de l'instance bénéficient d'une protection légale, et que l'instance dispose de moyens humains, légaux et matériels suffisants pour remplir ses fonctions sans avoir à dépendre des décisions d'autres institutions ». Or, les articles 14 et 15 permettent de lever l'immunité d'un membre de l'instance à la majorité simple. Cette fragilité permettra à n'importe quelle majorité politique de mettre son grappin, sur les membres de l'instance. L'indépendance de l'Instance serait aléatoire. Il faudra opter pour la majorité des deux-tiers.
Par ailleurs, au niveau du fonctionnement de l'instance électorale, des points pratiques devraient être clarifiés. « Les compétences du directeur exécutif restent principalement centrées sur les affaires administratives et financières, ce qui soulève des questions quant à savoir qui sera en charge des opérations électorales ». De même la coopération avec les services du Premier ministère ne doit pas se muer en une subordination.
Par ailleurs, le Centre apprécie le fait que les neuf membres de l'Instance soient élus par l'ANC. Ils éliront à leur tour leur président parmi eux. De même chaque membre sera issu d'une catégorie professionnelle ou jouit d'une expertise. 27 candidats seront présélectionnés à la majorité des trois-quarts. « Malgré une procédure qui peut comprendre jusqu'à trois tours de vote, rien ne garantit que les neufs sièges puissent être pourvus soit à la majorité des deux tiers requise lors des deux premiers tours de vote, soit à la majorité absolue requise lors du troisième, ce qui peut aboutir à un blocage ». Le Centre Carter préfère une procédure de vote qui évite le blocage.
Enfin pour éliminer toute discrimination à l'égard des femmes, le Centre recommande que le projet de loi doive prévoir des dispositions visant à renforcer la parité au sein de l'instance. Vu que les membres de l'instance représentent des catégories socioprofessionnelles, il faudra au préalable que la parité soit respectée dès l'étape de la pré-sélection.