Comment lire la récente déclaration journalistique du vice-président d'Ennahdha appelant à la participation de Nida Tounès au Gouvernement ? La proposition de Abdelfattah Mourou semble déjà avoir flatté l'orgueil de Béji Caïed Essebsi lequel affirme que son parti est tout aussi incontournable que le parti de Rached Ghannouchi. Pour autant, faut-il croire qu'Ennahdha a fini par se résoudre à la même évidence ? Abdelfattah Mourou serait-il en train de jouer le médiateur entre les deux leaders, rôle qui ne lui est du reste pas étranger puisqu'il l'a joué par le passé, sans trop de réussite il est vrai. Pourvu que Mourou ne se rétracte pas et n'accuse pas le journal turc d'avoir déformé ses propos comme il l'avait fait précédemment avec un quotidien allemand. En tout cas, le vice-président d'Ennahdha s'est toujours évertué, en dépit de quelques incartades occasionnelles, à renvoyer de lui-même l'image d'un islamiste modéré et conciliateur, celle d'un Nahdhaoui du terroir et d'un honnête « beldi » peu enclin à la violence et à l'intolérance politique et religieuse. Qui l'eût cru ? L'homme paraît investi ces derniers temps d'une mission bien particulière auprès des médias étrangers : il y a en effet de quoi se demander s'il n'est pas chargé de réhabiliter l'image de son parti, bien esquintée depuis plus d'un mois et notamment après l'assassinat de Chokri Belaïd. D'autre part, après l'échec de l'initiative de Hamadi Jebali, et l'impression donnée par Ennahdha d'en être le principal fossoyeur, il fallait répandre localement et sur le plan international le sentiment que le parti islamiste n'a pas cédé à l'intransigeance de son aile dure et qu'il reste capable de grandes concessions démocratiques. Est-ce un hasard qu'à quelques heures d'intervalle, Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou jettent du grand lest : le premier en se disant prêt à « lâcher » tous les ministères régaliens, même celui de l'Intérieur ; le second en souhaitant de voir Nida Tounès faire partie de l'équipe gouvernementale de Ali Laârayedh. Qui l'eût cru, il y a seulement dix jours ? Que vont en penser les radicaux d'Ennahdha et quelle réaction à ce revirement « sismique » faut-il attendre de la part des alliés extrémistes du mouvement (les salafistes, le C.P.R. et Wafa) ? Abderraouf Ayadi est le premier à rompre le silence puisqu'il se dit surpris par les déclarations de Rached Ghannouchi sur la neutralité des grands ministères et rejette une telle perspective. Mais il ne s'est pas encore prononcé sur la proposition de Mourou. En principe, la déclaration de celui-ci est de nature à courroucer M. Ayadi, ennemi juré du retour d'Essebsi à la scène politique. Le président fondateur de Wafa ne prend peut-être pas au sérieux l'interview, ou bien il n'estime fiables et crédibles que les propos de Rached Ghannouchi. Coup de tonnerre ou coup de bluff ? Tiens, tiens ! Mourou se serait-il aventuré en donnant une telle déclaration sans l'autorisation préalable de son Président ? Aurait-il réitéré l'initiative de Jebali qui avait annoncé son projet de gouvernement de technocrates sans passer par Rached Ghannouchi ? Mais maintenant que le commun des opposants n'accorde plus de crédit aux « comédies » d'Ennahdha, qui osera croire que ce mouvement puisse concéder quoi que ce soit à son rival le plus sérieux ? A la rigueur, d'aucuns peuvent admettre que la cour faite à Nida Tounès par le parti islamiste soit en réalité un message adressé à Al Joumhouri et à Al Massar, alliés de Bajbouj qui jusqu'à nouvel ordre refusent toute participation au prochain gouvernement. En d'autres termes, Ennahdha leur signifierait qu'elle peut leur jouer un mauvais tour et les isoler en se rapprochant du Nida, le parti prépondérant de l'Union pour la Tunisie. Le même message pourrait concerner Ettakattol qui, d'après son porte-parole, pose plusieurs conditions pour participer au gouvernement de Laârayedh. Mais ce ne sont là que des supputations ! Il n'en reste pas moins vrai que la formation de ce nouveau gouvernement que l'on dit imminente risque de prendre plus de temps qu'il n'en fallait à cause justement des signes prémonitoires de son échec, déjà annoncé par Hamadi Jebali ! Ne faut-il donc pas un « coup de tonnerre » pour conjurer ce sort indésirable ? Mourou a lancé son ballon d'essai et, bluff ou pas, sa déclaration va faire jaser bien des gens à l'intérieur du pays comme à l'étranger. Que mijote encore le parti de Ghannouchi ? vont se demander les uns et les autres. « Moutou bighaïdhikom », leur répondrait alors Me Abdelfattah Mourou ! Badreddine BEN HENDA *Extrait d'un verset du Coran : littéralement « que votre rancœur vous emporte !»