- Le modèle nucléaire n'est plus l'exception mais bien la norme ! « Les mutations socio-démographiques de la famille tunisienne » est l'intitulé d'une enquête qui vient d'être publiée par l'Office national de la famille et de la population (ONFP). Le document tente de dégager un diagnostic de la structure de la famille tunisienne en ce début de siècle. Cet ouvrage est le premier d'une série d'enquêtes nationales que couvre le Projet Arabe sur la santé de la famille (PAPFAM).
Il comporte quatre chapitres: le premier est consacré au thème « Femmes, famille et modernité ». Dans le deuxième, l'ouvrage évoque la transition démographique et les changements du comportement de fécondité. Ce chapitre présente une analyse quantitative de la relation entre fécondité et participation des femmes au marché du travail, à travers l'application d'un modèle économétrique. Il y est question aussi de la transition matrimoniale et de l'évolution de la nuptialité et de la divortialité. La troisième partie de cet ouvrage est dédiée à la santé des femmes et plus particulièrement aux nouvelles pathologies qui caractérisent la transition épidémiologique, ainsi qu'aux enjeux sanitaires et économiques qui l'accompagnent. Le quatrième et dernier volet traite de l'univers sexuel des jeunes tunisiens d'aujourd'hui, dans une conjoncture marquée par le risque de propagation des maladies sexuellement transmissibles (MST) dont le Sida. Ce chapitre fait une lecture des pratiques sexuelles des jeunes et des risques encourus par chacun des deux sexes, de manière à fournir des données de cadrage et d'interprétation, utiles à la mise en place de politiques de santé ciblant les jeunes. Des chercheurs appartenant à diverses disciplines sociales, notamment des démographes, des statisticiens, des économistes, des sociologues et des spécialistes en santé publique ont tenté d'analyser les impacts de la transition démographique sur le rôle et le devenir de la famille tunisienne, « dans un effort de donner une intelligibilité et une cohérence aux changements observés à divers niveaux et chez les différents acteurs ».
La filiation patrilinéaire appartient bien au passé A la question si le modèle tunisien traditionnel de la famille a encore cours, l'ouvrage rappelle que la filiation patrilinéaire appartient bien au passé et que désormais, le modèle nucléaire de la famille, n'est plus l'exception mais bien la norme, en milieu urbain, comme en milieu rural. Cependant, souligne l'ouvrage, les deux types de famille continuent de coexister, donnant lieu à une large mosaique de modèles, qui s'opposent, se juxtaposent, se chevauchent, sans jamais s'exclure, de manière à refléter les diverses stratégies d'adaptation des acteurs sociaux à un environnement en pleine mutation. Le document constate aussi que cette mutation s'accompagne de l'émergence d'une nouvelle figure sociale (l'individu moderne) qui a pris le relais historique du membre anonyme de la tribu ou de la famille élargie. La tendance vers l'indépendance et l'individuation est une constante, affirme l'ouvrage, qui n'infirme pas toutefois la présence de solidarité familiale quand surgissent des problèmes de santé ou des difficultés financières. L'enquête fait ressortir, en outre, la notion de pluriactivité familiale, autre facette de la dynamique de changement des familles et des acteurs sociaux, qui montre que la famille nucléaire moderne n'est plus organisée autour d'un seul pourvoyeur de ressources, en l'occurrence le père, communément repéré comme chef de famille, par les enquêtes statistiques. La pluriactivité se traduit par la contribution accrue des femmes et des enfants au revenu familial, notamment en milieu urbain puisqu'il concerne plus du quart des ménages.
Coût économique du temps S'agissant des répercussions de ces changements normatifs au double plan de la santé et de la fécondité des femmes, l'ouvrage introduit une nouvelle variable explicative de la baisse de la fécondité en Tunisie, à savoir « le coût économique du temps » consacré par les mères à la procréation et à l'éducation des enfants. Les résultats révèlent qu'une valorisation du coût du temps des femmes, évalué en termes de revenus et de salaires, comme conséquence d'une participation accrue des femmes au marché du travail, conduisent à une reconsidération du rôle productif des femmes au détriment de leur rôle traditionnel de procréatrices, entraînant ainsi une tendance très claire à la baisse générale de la fécondité. Des précisions sont aussi apportées à ce niveau sur l'évolution des proportions des célibataires et des personnes mariées, selon le sexe, le niveau d'instruction, l'activité professionnelle et la région. Il s'avère que le District de Tunis et le Centre-Ouest sont les régions qui connaissent le taux de célibat le plus élevé de Tunisie, soit respectivement 40,3 % et 41,6 %, alors que ce taux ne dépasse pas les 37 % pour le reste du territoire. La prolongation des études, la recherche d'un emploi, les difficultés à trouver un logement ainsi que l'augmentation des frais des noces, sont autant de raisons évoquées pour justifier le recul du mariage. De même, la divortialité fait l'objet d'un examen approfondi dans l'ouvrage qui dégage les principales tendances du divorce pour la période 1975-1998, suivies par un exposé sur ses principales causes (violence et mauvais traitements, conflits liés au budget familial, intervention de la belle-famille dans la vie du couple...).