«Le pouvoir exécutif continue à avoir la mainmise sur la magistrature», déplore néanmoins Raoudha Laâbidi «L'Association s'engage à agir pour que le pouvoir judiciaire soit reconnu dans la constitution», dit Raoudha Karafi «Les défauts du premier projet ont été maintenus», prévient Ahmed Rahmouni Après de longues discussions, l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) a fini par adopter le projet de loi créant l'Instance provisoire de la Magistrature, en séance plénière avec 151 voix favorables contre 4 abstentions. Raison et consensus ont finalement prévalu dans l'adoption de ce projet. Toutefois, l'article 20 transférant les prérogatives du ministre à propos des nominations, mutations, promotions et procédures disciplinaires à l'Instance provisoire a été rejeté. D'ailleurs le nouveau ministre de la Justice très à cheval sur ses prérogatives ne s'est pas fait prier pour intervenir dans les débats pour déclarer en substance que si cet article venait à être adopté que resterait à faire pour le ministère ? Il tient à ce que le ministère de la Justice puisse garder certaines prérogatives. Raoudha Laâbidi, secrétaire générale du Syndicat des Magistrats Tunisiens affirme au Temps que « certains articles avaient été amendés en réponse à la pression exercée par les magistrats. Toutefois, les articles décisifs n'ont pas été touchés. Accepter que cinq membres non magistrats agissent sur le parcours professionnel des magistrats est inadmissible. En plus la manière avec laquelle, ils vont être désignés n'est pas acceptable. Nous allons revenir aux anciennes méthodes. Les considérations politiques vont rentrer en jeu. Nous voulons arriver à une instance qui dispose de toutes ses prérogatives. Nous avons demandé la révision des licenciements opérés. Cette loi a renforcé les pouvoirs du ministre de la Justice. Dans l'article 16, au cas où un magistrat doit être traduit par le Conseil de discipline, l'Inspecteur général soumet son rapport au ministre qui le transmet par la suite à l'Instance au lieu de le transmettre directement à l'Instance. D'ailleurs, la réaction du ministre lorsque l'ANC discutait du transfert de ses prérogatives à l'Instance en dit long. « Le ministère va garder les murs », disait-il. Le ministère a d'autres missions. Il veille à la bonne marche de la justice. Cela laisse la porte ouverte à des pressions. La loi n'instaure pas l'indépendance de la Justice ». Roudha Laâbidi, reconnait qu'il y a des points positifs dans la loi adoptée comme l'impossibilité pour un magistrat membre d'un bureau directeur d'une association ou du syndicat de présenter sa candidature à l'Instance. Pour le conseil de discipline, il ne sera constitué que de magistrats. Raoudha Laâbidi regrette que pour les questions fondamentales, rien n'a changé. Elle rejette la disposition qui permet à cinq universitaires dont au moins deux avocats de siéger à l'Instance. Lorsqu'un magistrat trouve devant lui, dans un procès quelconque un avocat membre de l'Instance, il risque de ne pas être neutre. « En résumé, le pouvoir exécutif continue à avoir la main mise sur la magistrature » dit-elle. Une Assemblée Générale aura lieu samedi 4 Mai. Les magistrats décideront des actions à entreprendre pour sauvegarder leur indépendance. De son côté Raoudha Karafi, vice-présidente de l'Association des Magistrats Tunisiens a affirmé sur les ondes de ShemsFM que la création de l'Instance est un pas positif vers la réalisation de l'indépendance de la justice. Elle reconnait que cette loi ne rompt pas totalement les ponts entre la magistrature et le ministère. Elle réalise cette indépendance à hauteur de 70%. Dans un communiqué publié par l'Association, celle-ci considère que l'adoption de cette loi est un pas important pour sortir les magistrats du vide institutionnel dans le sens de l'éloignement du cursus professionnel des magistrats de l'hégémonie du pouvoir politique. L'Association des magistrats rappelle que le caractère provisoire de l'Instance et l'urgence de sa mise en place avaient justifié la non inclusion des autres garanties demandées par les magistrats. Toutefois, ceci n'empêche pas le parachèvement de ces conditions pour garantir le succès de la transition démocratique. L'association y veillera. En plus, l'Association s'engage à agir pour que le pouvoir judiciaire soit reconnu dans la constitution comme pouvoir à part totalement indépendant des pouvoirs législatifs et exécutifs. Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire Tunisien de l'Indépendance de la Magistrature, a exprimé sa satisfaction pour la création de l'Instance, une année et demie après qu'elle ait été mentionnée dans la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoirs. Il pense que sa création est un changement qualitatif dans le processus d'indépendance de la magistrature et espère que cette Instance permette la reconnaissance du pouvoir judiciaire et son autorégulation. Tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un premier pas pour la réforme du système juridique, cependant il attire l'attention sur certaines faiblesses. L'Instance n'est pas composée d'une majorité de membres élus. Les incohérences du premier projet ont été maintenues, comme la désignation de l'ANC pour l'élection des différents membres de l'Instance. En plus, les prérogatives de l'Instance ont été limitées. L'Observatoire appelle à l'accélération de la création de cette Instance.