• Le conseil supérieur de la Magistrature risque d'être sérieusement domestiqué. Exactement comme avant Au lendemain de la Révolution, pendant la campagne électorale l'indépendance du pouvoir judiciaire était le cheval de bataille à enfourcher par les partis politiques, indépendants et membres de la société civile pour en faire leurs revendications les plus expressives. Aujourd'hui, que les élections font partie du passé, les choses commencent à changer. La fibre démocratique peine et s'essouffle même chez certains tellement le chemin devient ardent. Une fois au pouvoir, on change. En témoigne le projet de loi d'une instance provisoire de la magistrature, préparé par le ministère de la Justice qui doit remplacer le Conseil Supérieur de la Magistrature dissous.
Le Syndicat des Magistrats de Tunisie (SMT) et l'Union des Magistrats Administratifs (UMA) ont mis à nu hier les carences et les risques à encourir par ce projet de loi. Raoudha Lâabidi, présidente du Syndicat des Magistrats rappelle que le Syndicat au même titre que l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) avait présenté un projet de loi à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC). Le ministère de la Justice avait présenté un début de projet. Il a engagé un dialogue avec les différentes instances représentatives de la Magistrature. Comme, le SMT est contre la politique de la chaise vide, il a choisi de participer à ce dialogue. « Nos remarques ont été enregistrées. On s'attendait à ce qu'elles soient prises en compte. Nous avons été surpris par la mouture présentée par le ministère », affirme Raoudha Lâabidi. La première remarque concerne la présidence du Conseil. Elle est confiée au ministre de la Justice. « Un retour en arrière. On tient encore à l'hégémonie du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire, chose inadmissible après la Révolution. Pire encore le projet accorde au pouvoir législatif le pouvoir de désigner cinq personnalités nationales au sein du Conseil », chose inconcevable pour les magistrats. La SMT pense qu'il n'est plus question d'interférence entre les pouvoirs. Qui sont ces personnalités nationales ? « C'est une option très grave, contraire aux slogans de la Révolution. Il n'est pas question qu'il y ait des nominations faites sur la base de considérations partisanes et politiques », clame Raoudha Lâabidi. En plus, le projet proposé par le ministère se base sur la loi de 1967. « C'est la voie ouverte à l'embrigadement de la justice. Cette loi contient tous les mécanismes permettant d'asseoir l'hégémonie du pouvoir exécutif.
Nous avons souhaité que le ministère de la Justice ne revienne pas à la loi de 1967 », renchérit Raoudha Lâabidi. La troisième objection émise par le SMT est que le projet du ministère s'oppose à l'esprit et à la lettre de l'article 22 de la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoirs, stipulant que le pouvoir judiciaire exerce son activité dans une « indépendance totale » et que l'Assemblée Nationale Constituante (ANC) désignera une « instance représentative des magistrats ». Dans le cas d'espèce seuls les juges peuvent représenter les juges. Les personnalités dites nationales n'ont rien à voir dans une instance qui concerne les magistrats et les magistrats seulement. Raoudha Lâabidi, s'étonne que la société civile et les partis politiques n'aient pas réagi au projet du ministère. Est-ce que l'indépendance de la Justice qui était voulue et souhaitée par tous avant la Révolution n'est plus exigée aujourd'hui ?
Zouheir Ben Tanfous, nouveau président de l'Union des Magistrats Administratifs (UMA), va dans le même sens. Il rappelle que l'UMA depuis sa création a demandé de rompre tout lien entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le Conseil supérieur de la Magistrature administrative est présidé par le Chef du Gouvernement. « Nous avons dit qu'il n'en n'est pas question après la Révolution », clame Zouheir Ben Tanfous. En Février 2012 la réunion du Conseil supérieur a été boycottée par neuf magistrats administratifs. 80% des membres du Conseil sont désignés es qualité. Les membres de l'UMA réclament l'indépendance totale de leur Conseil et l'application du principe des élections dans la désignation de ses membres. Un projet a été présenté à l'ANC, au président de la Commission de législation générale, au Chef du Gouvernement et au Chef de l'Etat. Silence radio.
La création d'un Observatoire de l'indépendance de la Justice créé par Ahmed Rahmouni a été l'objet d'un certains nombre de remarques. Boubaker Souguir, vice-président du SMT, déplore que l'association qui se prévaut de cet observatoire ait dernièrement diffusé un communiqué où il est question de la nomination de 81 délégués régionaux dans différents tribunaux. Nombreux délégués furent surpris par ces désignations. En plus les prérogatives de ces délégués dévalorisent le rang et la stature des magistrats. Ils joueront un rôle réquisitoire dont ils n'ont nullement le droit. Ils joueront un rôle d'indicateurs. Un déshonneur, pour le métier. La fonction d'observation de l'indépendance de la justice doit être confiée à la société civile. Les magistrats ne peuvent être à la fois, juges et parti pris.
Rafiî Achour membre du bureau exécutif de l'UMA, se demande comment ce prétendu observatoire pourrait garantir la protection des magistrats. Ceux qui veulent faire un travail d'observation ne doivent pas appartenir au corps des magistrats.
Ezzeddine Hamdène secrétaire général de l'UMA, déplore les propos d'Adnène Monceur, porte parole officiel de la présidence de la République qui avait affirmé en substance que « la Révolution a la priorité par rapport à l'indépendance de la Justice ». Comment pense-t-il que l'indépendance de la justice peut s'opposer à la Révolution ?
Au cas où le Gouvernement tient à faire passer son projet tel qu'il est, les magistrats sont décidés à boycotter les élections de leurs représentants au Conseil Supérieur de la Magistrature. Là aussi bien l'Association des Magistrats Tunisiens (AMT) que le SMT sont sur la même longueur d'onde.