La génération qui a plus de 55 ans aujourd'hui se rappelle comment, dans les années 1960 et à cause d'une certaine rivalité politique entre Bourguiba et Nasser, les deux leaders engagèrent leurs peuples respectifs dans un affrontement surfait que les médias de l'époque attisaient à qui mieux mieux. Plus tard, la concurrence s'établit dans un autre domaine qui n'en cachait pas moins ses soubassements politiques : en effet, les deux nations entrèrent dans une rivalité sportive (footballistique d'abord, puis pluridisciplinaire) qui ne s'est pas encore tout à fait calmée. Cependant, depuis janvier 2011, c'est-à-dire à l'occasion de la « Révolution du jasmin », les Tunisiens et les Egyptiens abordèrent une autre étape de leur drôle de compétition : cette fois-ci, il s'agit d'un franc retour au champ politique, non à travers les chefs d'Etat et les leaders (il n'y en a plus dans le monde arabe), mais via les masses populaires ! En 2011, premier round totalement favorable aux Tunisiens : c'est nous qui avons les premiers renversé notre dictateur alors que les Egyptiens mirent dix jours supplémentaires pour détrôner Moubarak. Cette année, la donne a complètement changé : le deuxième round profite entièrement aux Pharaons du Nil qui sont en train de surclasser les Aigles de Carthage ! Là-bas, la deuxième révolution n'est plus un slogan tapageur ni un vœu pieux. Ici, on lorgne du côté du Caire et l'on ronge son frein ! Paradoxal aiguillon Sur face book comme dans les conversations publiques, l'attention des Tunisiens est totalement accaparée par l'actualité politique égyptienne. Tout le monde se sent concerné par les deux rassemblements monstres qui divisent le pays du Nil en deux clans inconciliables. Et presque sans transition, on établit le parallèle entre la situation politique en Egypte et celle qui sévit sur notre sol. Très souvent, la comparaison tourne en notre défaveur. Même la télévision nationale a consacré mardi soir un dossier de deux heures et demie aux implications de la rébellion égyptienne sur le cours des événements en Tunisie. La chaîne privée Nessma ne cache pas sa position en faveur des adversaires de Morsi, et ses journalistes ne se font pas prier pour suggérer l'amalgame entre les Frères Musulmans d'Egypte et Ennahdha de chez nous. Par ailleurs, l'approche comparative ne s'arrête pas aux équipes dirigeantes d'ici et de là-bas : par la même occasion, on s'autorise allègrement autant de parallèles entre notre Opposition et la Gauche égyptienne ! De ce point de vue, il faudrait un psychiatre chevronné pour analyser les commentaires excessivement démoralisants des Tunisiens sur les prestations de leur Gauche. En fait, il doit s'agir d'une méthode particulière pour aiguillonner cette Opposition et l'amener à réagir aussi positivement et aussi efficacement que la Gauche égyptienne. C'est comme dans les compétitions sportives, lorsque le public conspue son équipe et applaudit la formation adverse, uniquement pour pousser la première à mieux se comporter sur le terrain. Resquille et plagiat révolutionnaires Aujourd'hui donc, on en est à « plagier » les Egyptiens ! Le Mouvement « tamarrod » (désobéissance, rébellion, insoumission) fait des émules sous nos latitudes. Nous avons même notre « Tamarrod » en miniature qui voudrait tant rassembler autour de lui autant de monde que son aîné égyptien et organiser un rassemblement géant semblable à celui de la Place « Attahrir ». Malheureusement, les données tunisiennes ne sont pas les données égyptiennes. Le Caire compte près de 20 millions d'habitants, alors que la population du Grand Tunis (4 gouvernorats, en plus des banlieues de la capitale) n'excède que de peu les 3 millions d'âmes. D'autre part, la mobilisation populaire est plus large, plus déterminée et plus efficace au pays du Nil. Il semble même que l'Etat major de l'armée égyptienne penche davantage pour un soutien non déclaré du soulèvement contre Morsi. Les Américains, de leur côté, accordent un appui conditionné au Président égyptien et souhaitent le voir jeter plus de lest à l'Opposition. Chez nous, la situation est tout autre et il n'est pas facile de la changer du jour au lendemain ! C'est pourquoi certains mécontents tunisiens s'en remettent aux « insurgés » d'Egypte pour baliser le terrain à leur deuxième révolution qui tarde à se déclencher. Celle-ci est aujourd'hui tributaire du succès de sa « sœur » cairote ! Priez donc, Opposants de chez nous, pour que Dieu lâche les Frères Musulmans et bénisse les rebelles de la Place « Attahrir » !