Madame Pierrette Ben Dhia vient de lancer un cri d'alarme de grande dignité dans un hebdomadaire bien connu de la place (Tunis-Hebdo), pour demander la libération de son mari et pas n'importe qui : M.Abdelaziz Ben Dhia, ancien ministre incarcéré depuis 27 mois à la prison de la Mornaguia pour l'affaire du financement du R.C.D et dont il a été, d'ailleurs, acquitté… mais, maintenu en détention ! J'ai tenu à consacrer cette chronique à ce sujet, moralement brûlant et politiquement encore plus, parce que l'éthique judiciaire et l'essence même de la justice, la bonne, c'est de séparer la politique du contentieux, surtout pénal. Je m'explique : Les délits et crimes de droit commun ont pour sanctions des peines prononcées par les tribunaux en conformité avec les lois pénales. Quant au « politique », sa seule sanction, doit être, soit la sanction des urnes, soit « l'élimination » politique, à savoir se faire écarter du pouvoir. Dans le cas de M.Ben Dhia, la sanction politique a été consommée largement puisqu'il a été écarté du gouvernement et du pouvoir aussi bien par Ben Ali, que par la Révolution. Quant aux délits de sang ou de corruption il est connu de tous que M.Abdelaziz Ben Dhia n'a jamais eu du sang sur les mains et qu'il n'a jamais été corrompu de quoi que ce soit, bien au contraire, son patrimoine personnel bien modeste et son monde de vie plutôt humble et réservé le prouvent largement et sans aucune équivoque. Je reviens à la carrière de M. Abdelaziz Ben Dhia qui est venu à la politique, fort accidentellement. Originaire de Moknine, une ville militante du Sahel, des profondeurs tunisiennes, il est l'enfant aîné de feu M. Mahmoud Ben Dhia, militant de la première heure, un des fondateurs du Néo-Destour à Ksar Helal, en 1934, et connu surtout par la célèbre anecdote citée souvent par Bourguiba, et l'hospitalité qu'il a offert au « Zaïm al jalil », ce crépuscule d'un jour de Ramadan, le 2 mars 1934, alors que beaucoup de notables du Sahel, alliés au « Destour », ne voulaient pas l'inviter à l' « Iftar » et redoutaient la fougue imprévisible de ce jeune leader, un peu trop révolutionnaire à leur goût. Pourtant, le jeune Ben Dhia n'avait rien par tempérament de l'engagement politique excessif ou radical et sa seule ambition était de réussir ses études au collège Sadiki, puis à la faculté de Droit de Toulouse. Au début des années soixante, il est assistant de droit privé puis professeur de droit commercial, puis doyen de la Faculté de Droit de Tunis, où il y avait un bon cru qui prenait la relève des professeurs de droit de la Sorbonne, et parmi lesquels on peut citer feu Mohamed Charfi, MM. Sadok Belaïd, Habib Ayadi, Moncef Ben Slama, avant l'arrivée de la génération purement tunisienne des Iyadh Ben Achour, feu Dali Jazi et Abdelfattah Amor, puis les benjamins, avec les professeurs Hafedh Ben Salah, Ben Hamed, etc… Par conséquent, M. Ben Dhia n'avait pour vocation que l'enseignement et même comme avocat il n'a, pratiquement, pas exercé. Mais, le destin en a voulu autrement ! Un beau jour d'août 1978, le Premier ministre Hédi Nouira décide la scission du ministère de l'Education, devenu tentaculaire et ingérable, et le ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique vit le jour. Mais, au départ, la personnalité proposée par Nouira pour le poste, n'était autre que M.Ali El Hili, ancien doyen de la Faculté des Sciences, très brillant chercheur qui refusa le portefeuille et c'est comme cela que M. Ben Dhia devint le 1er ministre de l'Enseignement Supérieur, en Tunisie, après de longues nuits d'hésitation. Jusque-là tout baignait. Le jeune technocrate « apolitique » réussissait parfaitement et plus de 53 institutions universitaires ont été édifiées sous son mandat avec quelques joyaux de notre université : Je cite l'ENIG de Gabès, les facultés de médecine de Sousse et de Sfax, la Fac des sciences de Sfax, la Fac des Lettres de la Manouba, et surtout la Fac des Lettres de Kairouan qui a permis à la capitale aghlabite de renouer avec son prestigieux passé scientifique et historique. Il passe ensuite au Ministère des Affaires sociales et évite la rupture avec l'UGTT du temps des « Chourafas ». Bourguiba, étonné par le savoir-faire de ce jeune commis de l'Etat, non politisé, le propulse à la tête du Parti socialiste destourien et là, c'est le fiasco, l'homme n'avait pas la ruse ni les subtilités des hommes d'appareil, il est limogé rapidement et renvoyé à ses méditations et consultations juridiques auprès des camarades de promotion qui lui ont offert l'hospitalité parce qu'il n'avait même pas de bureau en pleine propriété. C'était un homme heureux et bien dans sa peau. Mais, encore une, c'est la politique… qu'il n'aimait pas, qui finira par avoir raison de lui. A l'aube d'un 7 novembre 1987, il est rappelé aux affaires par le général Ben Ali qui était son collègue au gouvernement du temps où il était ministre de l'Intérieur ! Nous verrons pourquoi !... Demain ! …Patience !