• Le projet tuniso-britannique «TuNur» présenté comme un échantillon de marché en matière d'énergie renouvelable, suscite trop de questions • La lenteur de la volonté politique des Etats de l'UMA condamne le projet à la léthargie Les 24 et 25 septembre 2013, a démarré à Rabat (Maroc) le séminaire organisé par Le Bureau pour l'Afrique du Nord de la Commission Economique des Nations Unies pour l'Afrique et dont le thème porte sur la politique régionale en ER. Une réunion d'experts a travaillé autour du projet lancé en 2011 et qui porte sur les mécanismes innovants de financement des énergies renouvelables en Afrique du Nord. Le dessein final d'un tel projet s'inscrit dans le cadre du renforcement de la sécurité énergétique et l'amélioration des conditions socio-économiques dans le but de lutter contre le changement climatique et de relancer le développement régional. Les ER : un remontant énergétique pour l'UMA ? Titubant depuis des décennies, l'Union du Maghreb Arabe est restée depuis sa fondation en 1989, en tant que coalition géostratégique capitale pour la région, dans une sorte de léthargie. Les efforts des officiels et la volonté politique sont demeurés dans le stade de la torpeur et les discours de parade sans fondements. Avec l'émergence des chamboulements politiques en Tunisie et la Libye, il fallait remettre à jour certains points stratégiques et faire avec cette instabilité éco-politique. Néanmoins, le Bureau des Nations Unies pour l'Afrique du Nord de la CEA tient à réaliser ce projet de politique régionale et à booster le développement économique de manière équitable. Pourvu que ce projet puisse faire sortir l'UMA de sa torpeur et lui rappeler combien est capitale une coalition entre ses Etats membres dans le processus de transition énergétique, industriel et économique. Le mot du début a été donné par la directrice du Bureau Afrique du Nord de la CEA, Mme Karima Bounemra Ben Soltane qui a souligné, dans son discours d'ouverture, l'importance stratégique des énergies renouvelables dans le développement régional de l'UMA. Elle a, par ailleurs, déclaré «l'énergie est un secteur indispensable à la croissance économique et au développement industriel» et qui permettrait d'abolir «les inégalités sociales et territoriales» aussi bien que le rôle percutant dans «l'atténuation du changement climatique». Présenté comme défi stratégique et enjeu fondamental, le projet de politique régional en ER dans l'UMA a été lancé fin 2011 par le Secrétaire général Ban Kimoon dans le but de rendre l'ER universelle et accessible à tout le monde. Estimés jusqu'à présent à 409 milliards de dollars, les investissements dans ce secteur vont doubler selon le rapport de l'ONU concernant les énergies renouvelables. Il est, par ailleurs, important de rappeler que, selon les derniers rapports publiés par l'Agence internationale de l'Energie (AIE), en 2016, les ER (y compris le solaire et l'éolien) seront la deuxième source d'électricité dans le monde Pour l'engagement et la sensibilisation des acteurs nationaux Durant deux journées de travaux, les experts ont partagé leurs connaissances acquises depuis le lancement du projet en 2011 pour faciliter l'identification des défis à relever, booster la collaboration et renforcer l'intégration énergétique régionale. Une fois cette phase accomplie, les spécialistes en énergies renouvelables se sont concertés autour des divers acteurs décideurs à l'instar des gouvernements, des autorités de régulation, des partenaires privés et de tous les opérateurs impliqués dans le développement de ce secteur. Au terme de la réunion, il a été question de mettre en place concrètement la stratégie recherchée à adopter. Doivent être installés les piliers de cette stratégie où il fallait définir par priorité les mécanismes et les actions à mener dans les différents domaines. Ceci s'inscrit, bien évidemment, dans la perspective d'adopter la stratégie régionale finale par les acteurs politiques et les partenaires régionaux et nationaux. Les objectifs stratégiques du projet Lors de ces deux journées de travaux, quatre ateliers ont donc eu lieu. Ils ont été animés par des experts en énergies renouvelables dont plusieurs Tunisiens. Au cours de l'après-midi du premier jour, les deux workshops ont abordé la question du développement du marché régional des ER et le financement de la politique régionale commune. Les spécialistes se sont concertés avec les participants des différents pays de l'Afrique du Nord sur les meilleurs mécanismes, les réformes, les réajustements juridiques et les moyens de consolidation à adopter pour lancer un marché régional attractif d'énergie renouvelable. Une partie du premier atelier a été consacrée à la production d'électricité. La Tunisie était présente avec le projet TuNur, projet-échantillon lancé par le groupe britannique «Nur Energie», qui démarrera officiellement en 2014 à Kébili. Ce dernier se base sur l'exportation de l'énergie solaire tunisienne aux marchés électriques européens à partir de 2016. Il a été, néanmoins, sujet à certaines méfiances de la part de l'un des experts tunisiens qui le trouve trop ambitieux comme projet. Il a, notamment, fait remarquer que «TuNur » aura des impacts négatifs à plusieurs niveaux : sociétal (délocalisation des habitants de la région de Ksar Ghilène), appauvrissement de la nappe phréatique, inadéquation avec le besoin du client européen Quant au financement de la politique régionale en matière d'énergies renouvelables, il a fait l'objet d'un atelier de réflexion tournant autour des instruments et des modèles de financement efficace et durable des projets. La création d'un Fonds d'investissement régional spécialisé a été proposée. Néanmoins, les spécialistes ont évoqué le rôle des bailleurs de fonds et des organisations financières internationales et nord-africaines dans le financement de la politique des Nations Unies en matière d'énergie renouvelable en Afrique du Nord. Malek LAKHDAR - Marieme Bekaye (Bureau Afrique du Nord de la Commission économique pour l'Afrique des Nations Unies): «La volonté politique et son implication dans un tel projet renforcera la coalition de l'UMA » Le Temps : en quoi consiste exactement le travail de la Commission économique du Bureau Afrique du Nord des Nations Unies ? Marieme Bekaye : c'est un bureau régional qui couvre 7 pays de l'Afrique du Nord. Nous appuyons ces pays dans les deux domaines économique et environnemental en matière de politique de développement. L'an dernier, cette commission s'est réunie à Tunis. Pour la phase finale de ce projet de politique régionale en matière d'énergies renouvelables, la réunion a lieu à Rabat. Quels en sont les objectifs ? L'objectif de cette réunion d'experts vise à appuyer nos Etas membres et à mettre en place une politique régionale pour le développement des ER en Afrique du Nord. La réunion vise principalement à soutenir les efforts qui sont en cours dans tous ces pays dans le cadre de leur politique nationale pour le développement des énergies renouvelables. Nous avons invité différents acteurs aussi bien nationaux, institutionnels ainsi que le secteur privé, les organisations régionales et les partenaires au développement à venir réfléchir avec nous sur une vision et des objectifs stratégiques en termes de politique régionale de développement des ER. Le Bureau pour l'Afrique du Nord compte soutenir ce projet de politique régionale. Parmi les défis auxquels ce projet devra faire face il y a le financement. Comment la Commission économique pour l'Afrique va-t-elle soutenir cette politique régionale puisqu'aujourd'hui, durant les ateliers, vous parliez de segmentation du marché. Les contraintes du financement sont plurielles et pluridisciplinaires. On a justement discuté de cela durant l'atelier qui concerne cette thématique. Elle concerne le niveau de la capacité d'investissement public mais aussi bien celle susceptible d'être apportée par le secteur privé qui rencontre encore un certain nombre de contraintes dans l'environnement des affaires. Je citerai aussi le cadre réglementaire qui ne représente pas suffisamment attractif pour le privé comme les tarifs d'achat. En fait, le secteur privé demande à ce qu'il y ait réellement une politique de long terme où il peut y avoir une vraie visibilité pour qu'il puisse s'inscrire dedans. C'est ainsi qu'il pourra étudier les différents risques auxquels il peut être confronté et qu'il s'inscrira dans cette dynamique d'investissement. Quant à la contrainte des marchés, il est vrai aussi qu'ils sont segmentés parce que le marché national demeure encore faible, ce qui fait que les marchés régionaux et les échanges sont très limités. Notre objectif de politique régionale est là pour intégrer les marchés ensemble et avoir un seul marché régional beaucoup plus important et plus attractif aussi bien pour les partenaires au développement que pour le secteur et les opérateurs privés qui pourront s'inscrire dans une telle démarche. Aujourd'hui, le potentiel client européen aimerait justement avoir affaire à un seul interlocuteur régional ce qui facilitera les échanges et les transactions. Par rapport à L'Europe, on doit dire que la priorité des pays aujourd'hui c'est d'abord, le marché local national puis régional. Ensuite, nous envisagerons, peut-être, de nous inscrire dans une dynamique d'exportation des énergies renouvelables. Pour l'instant, nous comptons surtout sur la volonté politique et son implication dans un tel projet qui renforcera la coalition de l'UMA Concrètement, qu'en sera-t-il de ce projet de politique régionale en ER au lendemain de cette dernière réunion d'experts? Il s'agit d'un processus. On va déjà recueillir toutes les recommandations et toutes les analyses qui ont été faites au cours de ces réunions et ces travaux. Par la suite, on va finaliser un document de politique régionale. Durant la seconde phase, on va entamer des réunions avec nos différents partenaires pour voir le niveau de décisions que nous pouvons faire adopter à cette stratégie par les Etats. On va travailler sur la démarche adéquate pour mettre des mécanismes institutionnels qui vont assurer le suivi, la mise en œuvre et, bien évidemment, de mobiliser les financements