Goubellat (on peut orthographier autrement le nom de cette délégation du Gouvernorat de Béja, mais cela ne changera rien à son statut de cité oubliée) ne rappelle aux enseignants du secondaire qu'un seul mauvais souvenir qui a, du reste, marqué bien des mémoires de Tunisiens contemporains de l'ère Mohamed Mzali. C'était dans les années 80 et ce dernier était fraîchement promu au poste de Premier Ministre. En ce temps, le syndicat du secondaire décrétait régulièrement des grèves et des mouvements de protestation contre la détérioration du pouvoir d'achat des enseignants de ce cycle lesquels revendiquaient aussi l'alignement de leurs salaires sur ceux des magistrats et des ingénieurs. En déplacement à Goubellat, Mzali prononça alors son fameux discours où il présentait les professeurs de collèges et de lycées comme des citoyens nantis qui consomment au petit déjeuner des biscottes tartinées au beurre !!! Cela provoqua un tollé général parmi les enseignants et un froid de quelques années entre le Premier Ministre (éducateur lui-même) et les syndicats du secondaire. Fâcheuse actualité Donc, pour des dizaines de milliers de professeurs, sinon pour des millions de Tunisiens, le nom de Goubellat est rattaché à ce discours o combien calomniateur. Autrement, la ville que beaucoup d'entre eux ne savent pas situer sur la carte de Béja, encore moins sur celle du pays, ne marque pas du tout les esprits. D'ailleurs, ceux qui connaissent bien ce « village », comme disait l'autre jour Meriem Belkadhi, l'animatrice du talk show Nessnessma, vous diront qu'en 2013 encore, Goubellat a tout d'un modeste hameau par lequel passe une route nationale toujours en réfection, avec ce que cela signifie comme quantité de boue en saison froide et comme nuages de poussière en temps dégagé. Située pourtant à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, et figurant en bonne place parmi les zones agricoles de Béja, Goubellat paraît un coin reculé, oublié de la Tunisie. Pratiquement aucun signe de développement, aucune réalisation urbaine digne de ce nom, et manifestement aucun horizon d'espoir pour ses jeunes de plus en plus attirés par Tunis et ses promesses d'avenir meilleur. En cherchant, sur Internet, à apprendre quelque chose sur Goubellat, vous ne retiendrez que des événements fâcheux, comme une chute de grêle qui a entamé les récoltes, ou l'agression de Khalil Zaouia par un groupe de Salafistes, ou bien un impressionnant incendie dans les hauteurs environnantes, ou encore et plus récemment la traque d'un groupe terroriste qui a tué deux agents de la Garde Nationale. Les cités « explosives » C'est, avouons-le, un bien triste bilan pour ce qu'on appelle une « délégation ». La Tunisie compte des centaines de ces coins effacés, mais qui ne s'illustrent que par leur actualité regrettable. Ce sont des repaires idéaux, des viviers miraculeux pour le terrorisme et l'extrémisme sous toutes les formes qu'ils peuvent prendre. A Kasserine, à Jendouba, à Kairouan, au Kef, à Gafsa, à Médenine, dans les quartiers populaires des grandes villes tunisiennes, c'est partout la même réalité affligeante. Quand on « oublie » de développer économiquement une cité, celle-ci développe, volontairement ou involontairement, un reliquat dangereux de son sous-développement ! Certes, aujourd'hui le contexte politique et géopolitique chez nous et autour de nous induit d'autres facteurs pour expliquer l'expansion du terrorisme dans les pays du Maghreb. Force nous est cependant de reconnaître que la misère et la marginalisation auxquelles sont condamnés plutôt sciemment et depuis l'Indépendance les deux tiers (au moins) de nos régions, ne peuvent que nourrir et radicaliser le phénomène déploré. A Goubellat, nous apprend le Ministère de l'Intérieur, les Gardes qui traquaient avant-hier le groupe terroriste, ont « découvert » un arsenal d'explosifs laissé par les extrémistes en fuite dans la demeure qu'ils occupaient. En fait, tous les coins oubliés du pays cachent, non, couvent des « explosifs » à volonté ; ce sont des poudrières en veille ; et chacun des habitants qui y vivent peut se transformer à tout moment en canon ou en chair à canon. Puissent donc les politiques, que la lutte contre le terrorisme concerne vraiment dans notre chère Tunisie, comprendre que le développement économique, social et culturel d'un quartier, d'une ville, ou d'un pays immunise durablement ces espaces contre toute velléité de nuisance émanant des troublions sanguinaires. Mais précisons-le encore une fois : cela est possible à la condition sine qua non que les responsables qui veillent sur les destinées de ce pays ne soient pas eux-mêmes des…troublions sanguinaires !