Bien que sous Mouâouia, la personnalisation du pouvoir ait été encore plus aigue, étant accentuée par cette nouvelle image du Calife conçue par Mouâouia, lequel est en même temps un souverain, dont le sort de la oumma est entre ses mains, et qui doit être obéi étant donné qu'il agit selon la Chariâ. C'est en quelque sorte un souverain détenant sa légitimité plutôt de la Chariâa que du peuple, et ce selon la conception de Mouiâouia qui trancha concernant le problème de la succession du Calife avec la cooptation de son fils et imposa ainsi la succession dynastique. Il faut dire que ce problème se posait déjà depuis la mort du Prophète et Hadith Assakifa, et il y eut des divergences tant concernant la succession du Prophète que concernant la nature du pouvoir de celui qui devait lui succéder. Ce dernier devait-il détenir son pouvoir de Dieu dont il serait le représentant car le terme de calife a également le sens de représentant, ou était-il le successeur du Prophète ? Au départ, lors de Hadith Assakifa, l'idée de proposer un système bicéphale, selon lequel le califat serait représenté par deux califes dont l'un serait parmi les Mouhajirines, et l'autre parmi les Ansars, soit un pour représenter les Médinois et un autre pour représenter les Mecquois. C'est le système de frein et de contrepoids dont avait parlé Montesquieu par la suite, mais exercé en l'occurrence par deux Califes dont l'un exercera au contrôle sur l'autre. Cela éviterait-il pour autant le pouvoir absolu ? Omar Ibn Al Khattab qui était présent à la concertation d'Assakifa désapprouva ce système par sa fameuse boutade ; « on n'attache pas deux chameaux par une même corde ». Il ne pensait pas si bien dire, la corde représentant la responsabilité de celui qui prend les rênes du pouvoir. Finalement ce fut Aboubakr qui a été choisi collégialement de la part des Ansars sur recommandation de Omar qui était déterminé à opter pour ce choix. Les Ansars considéraient qu'ils étaient plus méritants que les mouhajirines à désigner un des leurs au Califat, en proposant un certain Saâd Ibn Oûbada. Omar ayant appris leur intention avait donc envoyé chercher Aboubakr, qui assistait au domicile du Prophète, pour recevoir les condoléances en tant que père de Aïcha, la mère des croyants, et ce fut la raison pour laquelle il mit du temps pour se présenter à Assakifa des Beni Saîda. Le choix d'Aboubakr serait-il le fait du hasard ? En tout état de cause, ce sont surtout les adeptes d'Ali qui confirmeront cette thèse, d'autant plus qu'ils prétendront ultérieurement que le pouvoir d'Aboubaker était illégitime, Ali ayant été désigné par le prophète pour lui succéder. Pour fonder davantage leurs prétentions ils se réfèrent au différend qui surgit entre Aboubakr et Fatma Ezzahra, fille du Prophète et épouse d'Ali à propos de l'héritage de son père, et qu'on avait évoqué précédemment. Les adeptes d'Ali avaient justement interprété l'attitude d'Aboubakr comme étant due à son animosité avec Ali. Toujours est-il qu'Aboubakr ne s'était pas conduit, comme s'accordent à l'affirmer la plupart des historiographes, en dictateur, mais en honnête successeur du Prophète, qui veilla à l'application stricte de la législation islamique et les enseignements du Prophète. Omar Ibn Al khattab qui succéda à Aboubakr fut coopté par ce dernier et sa cooptation entérinée.