Human Rights Watch (HRW) a appelé, dans un communiqué publié hier, le gouvernement tunisien à réintégrer dans leurs fonctions les juges révoqués arbitrairement le 28 mai 2012 par l'ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri. «Un tribunal administratif a statué sur 30 des 75 affaires de révocation depuis décembre 2013, ordonnant la réintégration des juges, mais le gouvernement n'a pas donné suite à cette décision », a précisé l'organisation de défense des droits de l'Homme. HRW a également déploré la non-réintégration de ces juges malgré les déclarations rassurantes du nouveau ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah, qui avait déclaré en mars dernier qu'il allait exécuter les décisions du tribunal administratif et transférer leurs dossiers à l'Autorité temporaire récemment créée pour superviser le système judiciaire, qui décidera si des mesures disciplinaires s'imposent à l'encontre de l'un ou l'autre de ces juges. «Les belles paroles officielles à propos de la réforme du système judiciaire tunisien sonneront creux aussi longtemps que le gouvernement n'exécutera pas la décision du tribunal administratif qualifiant la révocation sommaire des juges d'incorrecte et de nulle et non avenue», a affirmé Eric Goldstein, directeur adjoint de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW. En mai 2012, l'ancien ministre de la Justice, Noureddine Bhiri, avait procédé à la révocation de plus de 70 juges, qui seraient, selon lui, «corrompus et impliqués avec l'ancien régime». Bon nombre de ces juges ont interjeté appel individuellement auprès du tribunal administratif, lequel a uniformément établi que le pouvoir avait agi de manière incorrecte et avait outrepassé ses pouvoirs en révoquant les juges arbitrairement. Ces derniers ont été privés de leur travail, de leur salaire et la couverture médicale depuis plus de deux ans. Selon Human Rights Watch, ces juges n'ont jamais été informés des motifs réels de leur révocation, ni des éléments de preuve retenus contre eux. Selon eux, le ministère ne leur a octroyé aucune audience avant la décision ni aucun accès à leurs dossiers disciplinaires. Mesure anti-constitutionnelle En décembre 2012, Human Rights Watch, agissant avec l'autorisation expresse écrite de 10 des juges révoqués, a écrit au ministre de la Justice, demandant d'avoir accès à leurs dossiers. Human Right Watch souhaitait vérifier leurs allégations selon lesquelles le ministère les avait privés de toute possibilité de se défendre, les avait révoqués pour des motifs fallacieux, et avait continué à leur refuser tout accès aux présumées preuves les incriminant. Le ministère a rejeté la demande. L'organisation a souligné, dans son communiqué, que le tribunal administratif avait établi que «l'administration a rendu la décision contestée sans permettre au juge de jouir des garanties fondamentales en matière de procès équitable prévues par la loi», estimant que les autorités tunisiennes devraient veiller dans ce cadre à respecter la nouvelle Constitution ainsi que les normes internationales. «L'article 102 stipule que le pouvoir judiciaire est une autorité indépendante qui garantit la primauté de la justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés», a rappelé HRW. «L'article 107 dispose qu'aucun juge ne peut être transféré sans son consentement, aucun juge ne peut être démis de ses fonctions et aucun juge ne peut être suspendu, révoqué ou soumis à une sanction disciplinaire hormis dans les cas et conformément aux garanties prévues par la loi et en vertu d'une décision motivée rendue par le Conseil supérieur de la magistrature», ajoute l'organisation. HRW rappelle par ailleurs l'instance provisoire de la magistrature créée en avril dernier en vertu d'une loi votée par l'Assemblée nationale constituante pour remplacer le Haut Conseil de la Magistrature, qui a joué un rôle crucial en assurant l'hégémonie du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire sous le régime du Président évincé Ben Ali, est habilitée, selon la loi, à prendre des mesures disciplinaires à l'encontre des juges, conformément à la législation en vigueur. «Aux termes de la loi, les juges doivent être notifiés de toute procédure disciplinaire au moins 15 jours avant l'audience de l'affaire et ils ont le droit d'examiner tous les documents versés au dossier disciplinaire, d'introduire des informations et documents à décharge et d'être assistés par un avocat ou toute autre personne de leur choix », indique l'organisation.