Klem Ellil, Zéro virgule de Taoufik Jebali a donné samedi soir le coup d'envoi du Festival international d'Hammamet. Jouée à guichets fermés, cette pièce de Taoufik Jebali a eu une résonance toute particulière. Sortie après les premières élections libres du pays, c'était le moment pour Jebali de parler de cette frange de zéro virgule. Le théâtre est un zéro virgule. « Le zéro est le début et la fin. Sans zéro, il n'y a pas de vie. C'est nous le zéro virgule. Je suis un zéro virgule » affirme-t-il après sa représentation. D'emblée, le cadre est posé : le spectacle se déroule dans une morgue entre des cadavres qui sont bien sûr incarnés par Taoufik Jebali, Raouf Ben Amor et Naoufel Azara avec un très bel hommage à leur ami décédé Mahmoud Larnaout. Les deux heures de spectacle qui suivent nous font assister à une succession de scènes, le plus souvent à un ou deux personnages, de longueurs très variées : le temps de lancer un bon mot ou, au contraire, d'esquisser l'histoire de toute une vie. Le rire et l'humour noir l'emportent. Le texte de Jebali ne donnant aucune indication scénographique, le metteur en scène a ainsi bénéficié d'une « grande liberté » dans son travail. Il a donc opté pour un décor très sobre, et le thème de la mort n'est évoqué que par les vêtements blancs des comédiens. En fait, l'essentiel du travail scénographique a porté sur l'éclairage, le mouvement et le jeu varié des acteurs. Jebali ne suit pas vraiment la structure théâtrale classique dans laquelle on trouve des rôles principaux et d'autres secondaires. Dans cette création, on peut le voir sous différentes facettes du tunisien. Faire parler des morts n'était pas la tâche du metteur en scène. Mais dans son dernier voyage, il y a beaucoup d'émotion... A travers des situations insolites, parfois même surréalistes, le Tunisien est pris sur le fait de ses contradictions mais aussi de sa philosophie et son humour décapant. Jebali parle de tout : du stress, de l'anxiété, du terrorisme quotidien, des apprentis politiciens. Le temps passe, la scène se chauffe de plus en plus, les vannes se multiplient, les acteurs se surpassent. Toutes les parties de leur corps s'investissent dans un spectacle qui respire la fraîcheur et l'énergie. De dévoilement en dévoilement, on pénètre dans ce monde post révolutionnaire avec des personnages qui se réunissent pour échanger des informations et participer à l'immense et dérisoire comédie humaine de ce temps. Ils se réunissent car ils veulent mettre en commun l'essentiel de leur angoisse, l'essentiel de leur questionnement. Toute une galerie de personnages que Taoufik Jebali a voulu mettre en relief. L'auteur de cette pièce évoque les nouveaux dangers qui guettent le pays, en passant par la recherche d'une identité perdue et quelques passages de «Hamlet», la pièce a su accrocher les spectateurs grâce notamment à des changements de rythme et de décors aussi soudains que fluides. Grâce au dialogue, à la gestuelle et au mouvement, le texte et sa mise en scène font du théâtre un art de jeux. Il est jeu parce qu'il imite la vie à travers des personnages dont les discours et les actes expriment la réalité. Le public visiblement impressionné par l'aisance et la spontanéité des acteurs sur scène, mais aussi amusés par leur réplique partage ces moments de réflexion. Parsemée de quelques touches d'humour cinglantes, la pièce prend vie au fur et à mesure, toujours dans cette interrogation sur zéro virgule. Le jeu de mots est en plus savamment exploité, dans la mesure où un seul mot ou expression peut donner plusieurs sens, opposés parfois. Jebali invite le public à une grande réflexion sur sa situation, sur son avenir, bref à se réveiller à la veille des élections sinon il fera toujours partie de zéro, virgule. Au cours de leur prestation, les acteurs se renouvellent dans le dialogue, dans l'image et dans le mouvement comme en témoigne le jeu de Raouf Ben Amor qui y joue des extraits de pièces célèbres de Shakespeare et la bonne prestation de Baligh Méki, Sabeur Ouslati, Yosr Galai et Héla Ayed. Le spectacle rend hommage par flash-back au regretté Mahmoud Larnaout, le compagnon du noyau dur de « Klem Ellil ». Taoufik Jebali a ainsi réussi à faire de sa pièce un espace de rencontre entre des personnalités fortes, singulières et des personnages qui trimballent des histoires, des trajectoires sociales marquantes. L'acteur dans un jeu propre à lui-même, a mêlé entre humour, tendresse et expression scénique. Il n'a pas déçu. Sur scène, il a été à la hauteur de sa réputation: phénoménal. Une mitraillette à gags, un génie de l'improvisation. Pas de doute, Jebali a eu droit à un triomphe pour sa première sortie estivale Le public, ému, lui offre enfin de ses plus beaux standings ovations. Bref comme l'a mentionné Kamel Ferjani directeur du festival, ce spectacle n'a laissé personne indifférent « un grand spectacle pour un grand public », dit –il.