La mission d'observation électorale relevant de l'Union Européenne (MOE/UE) a présenté, il y a quelques jours, lors d'un point de presse, son rapport préliminaire sur le déroulement du premier tour des élections présidentielles. Les 93 observateurs relevant de l'Union Européenne, répartis dimanche dernier sur les 27 circonscriptions électorales, se sont déclarés satisfaits et ravis par le déroulement, en toute transparence et dans une ambiance calme et sereine, du processus électoral aussi bien pendant le vote que lors du dépouillement. Ils ont également salué l'impartialité et la compétence de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) et ses efforts supplémentaires en termes d'organisation lors de ce premier tour présidentiel par rapport aux élections législatives du 26 octobre. Mais alors que les observateurs et les médias internationaux chantent les louanges d'une Tunisie solidement engagée sur le chemin de la démocratie et des élections transparentes, libres et minutieusement organisées, un autre son de cloche, moins flatteur, se fait entendre. C'est celui d'observateurs locaux qui ont rencontré bon nombre d'obstacles dans l'accomplissement de leur mission. A ce propos, Emna M. nous livre son témoignage: « En 2011, j'ai été observatrice I Watch dans un bureau de vote. Bien que fatigante, je considère cette expérience exceptionnelle. En 2014, pour les élections législatives et le premier tour des présidentielles, j'ai été désignée au sein de l'équipe d'opérateurs qui devait assurer le suivi au téléphone avec les observateurs depuis la salle d'opération d'I Watch. Dès 8h du matin, nous avons commencé à recevoir des appels de nos 1300 observateurs répartis sur tous les bureaux de vote. Nous avons fait face à un tas de réclamations: bureaux de vote pas ouverts à temps, chefs de bureaux absents ou en retard, pas d'encriers... Lors des élections législatives, l'ISIE nous a fourni une liste complète avec les contacts des différents chefs d'IRIE (Instances Régionales Indépendantes pour les Elections). Cela n a énormément facilité notre mission puisqu'en cas de réclamation, nous appelions directement le numéro du responsable de la circonscription concernée qui prenait le relais pour trouver une solution. Puis nous rappelions notre observateur pour voir si le problème était réglé. Lors du premier tour de la présidentielle, l'ISIE a changé de méthode et a chargé une seule personne pour être l'unique vis-à-vis de la société civile. Mais le pire c'est que le jour J, la personne en question était en congé ! Contactés en urgence, des responsables de l'ISIE ont affirmé ne pas être au courant et que des mesures sévères seront prises à l'encontre de cette personne. Du coup, nous recevions des réclamations de la part de nos observateurs mais nous n'avions personne à contacter et nous nous sentions vraiment impuissants. Le soir, alors que l'ISIE tenait sa conférence de presse, nous avons voulu y assister. Nous nous sommes donc rendus au Media Center. Nous étions dix en tout. En tant qu'observateurs, nous y avions bien sûr accès. Grosse surprise à notre arrivée, les responsables de la sécurité n'ont pas voulu nous laisser rentrer, alors que nous avions nos badges d'accréditation. Alerté, le responsable de la salle a évoqué un prétexte qui nous a semblé bien peu convaincant: la salle était pleine et il n'y avait plus de places. Mais le comble, c'est que des observateurs étrangers sont arrivés peu après nous et ont été chaleureusement accueillis. Finalement, à force d'insister, six d'entre nous ont pu entrer. Même si cela nous a énervé sur le moment et malgré toutes les difficultés rencontrées, je ne suis pas peu fière de ma participation à cette mission d'observation et de supervision. Pour moi, c'est un devoir envers ma patrie. D'ailleurs, j'ai réussi cette année à convaincre mes parents de se porter également volontaires pour observer les élections. Enfin, pour être objective, je dirais que l'ISIE a fourni de gros efforts organisationnels et a redoublé d'efforts lors de la présidentielle puisque toutes les réclamations qui lui sont parvenues après les législatives ont été prises en compte. En effet, les directeurs du bureau de vote qui se sont avérés être partisans ont été changés. Les responsables qui ont fait certaines erreurs ont été formés de nouveau. Je salue cela tout en souhaitant qu'au deuxième tour les choses se passent mieux pour la société civile. Autre incident rapporté, celui de trois observateurs à Jelma (Sidi Bouzid) qui se sont vu interdire l'accès au bureau de vote. Ils portaient pourtant leurs dossards, leurs badges et étaient munis de leurs formulaires pour noter leurs observations. Ce n'est qu'après l'intervention d'observateurs internationaux présents sur place qu'on leur a permis de commencer leur mission. Rattachée à un institut de sondage, une superviseuse au Kef, a, elle aussi, rencontré quelques difficultés. Elle témoigne: « Tout d'abord, on nous a interdit de commencer notre travail à l'heure bien que nous fûmes en possession de nos autorisations de l'ISIE et nos ordres de mission. Ensuite, je me suis embrouillée avec un directeur de bureau de vote car il a manqué de respect à l'une des enquêtrices malgré la présence des policiers à côté. Il a interdit à notre équipe de faire convenablement son travail et s'est plaint d'eux tout au long de la journée. Tous ces incidents nous ont fait perdre énormément de temps et celà nous a stressés ! » Le directeur d'un institut de sondage, présent sur le plateau d'une chaîne télévisée le soir du vote, a même déclaré en direct que certains de ses enquêteurs ont été agressés verbalement et physiquement et leur matériel de travail détruit. A la lumière de ces témoignages, il semble que la mission d'observateur ne soit pas de tout repos. A L'ISIE toutefois, on explique que ce ne sont là que des cas isolés et que la majorité des observateurs ont mené à bien leur mission sans être dérangés. Alors que nous sommes à quelques semaines d'un scrutin historique à l'issue duquel la Tunisie connaîtra son premier Président démocratiquement élu, il est de notre devoir à tous de redoubler de vigilance pour que cette échéance électorale se déroule sans couacs sécuritaires mais aussi sans fraudes ni falsifications. Pour cela, il faudrait encourager les jeunes et les moins jeunes à se porter volontaires pour observer ces élections historiques. L'ISIE doit assumer ses responsabilités afin de garantir des conditions favorables et maximales pour que tous les observateurs, nationaux et internationaux puissent mener à bien leur mission, sans distinction aucune.