Quelques jours après le report de la séance plénière de l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), qui devait voter la confiance de la nouvelle équipe gouvernementale, Habib Essid, le chef-du-gouvernement chargé, a relancé les négociations avec les différents partis afin de reconsidérer sa formation. Le Front Populaire et Afek Tounes ont été rappelés pour revoir leur proposition et leurs éventuelles candidatures, même si le parti de la gauche continue à affirmer qu'il ne fera pas partie de ladite équipe. En ce qui concerne le parti majoritaire, à savoir Nidaa Tounes, les choses semblent être plus compliquées que cela vu les divergences que l'on voit apparaître chez quelques dirigeants dudit mouvement. En effet, le mouvement se retrouve, au lendemain de sa réussite aux élections législatives et présidentielle, face à un dilemme majeur : permettre au mouvement d'Ennahdha de participer au gouvernement et rompre ses promesses électorales ou s'en passer et se retrouver face à un blocage parlementaire. Le Temps a contacté quelques dirigeants de Nidaa Tounes afin d'évaluer les tendances majoritaires dans la cuisine interne du mouvement. Abdelaziz Mezoughi, fidèle à lui-même, n'a pas essayé de présenter de réponse diplomatique. « Je fais partie de ceux qui sont contre la participation d'Ennahdha au gouvernement. J'ai dit auparavant que 14 siècles nous séparaient de ce mouvement, ces 14 siècles ne peuvent pas être effacés en quelques mois. Même si Ennahdha est la deuxième force sur l'échiquier politique, cela ne veut absolument pas dire que son inclusion au pouvoir est une nécessité. Ce mouvement a gouverné le pays durant trois ans, nous avons été patients pendant ces trois ans et nous n'avons pas essayé de nous imposer aux gouvernements de la Troïka, je ne comprends pas aujourd'hui cette insistance d'Ennahdha d'entrer au gouvernement .On a connu un mauvais démarrage du gouvernement d'Essid, mais cela n'est pas une raison pour se tourner vers Ennahdha, un gouvernement fonctionne avec son programme, et son programme demande une majorité de 50% + 1 des voix au sein du parlement. » A la question si cette différence entre les différentes composantes de Nidaa Tounes traduit l'existence d'un conflit profond au sein du mouvement, maître Mezoughi a répondu que non. « Nous connaissons certes une grande divergence en ce moment, mais cela ne traduit ni un conflit profond ni un signe de l'implosion du mouvement. » Myriam Boujbel, députée à l'ARP de Nidaa Tounes, s'est expliquée sur sa dernière déclaration qu'elle a publiée sur sa page officielle Facebook et où elle s'est dite prête à voir Ennahdha faire partie du prochain gouvernement. « Tout d'abord, je tiens à préciser que cela reste un avis personnel qui n'implique en rien le parti. Je pense que notre mission primordiale est de présenter des réformes de fond pour que le pays puisse avancer. Ces réformes se font sous la forme de projets de loi, avec la composition actuelle de l'ARP, ces projets ne peuvent pas être adaptés sans une large majorité. Comme je n'ai pas confiance en Ennahdha, je ne pense pas que ce dernier puisse être une opposition constructive, au contraire, je pense que les députés d'Ennahdha feront tout pour bloquer les processus et mettre des bâtons dans les roues, donc, autant les inclure au gouvernement. » Nous avons interrogé la députée sur les promesses de son mouvement lors des législatives et si elle ne craint pas que ces promesses soient rompues. « Nous sommes certes devant un choix délicat, mais il faut que l'on soit courageux et que l'on se mouille la chemise. On aura un bilan à présenter aux Tunisiens dans cinq ans et, de ce fait, il nous faut assumer notre responsabilité et faire primer les intérêts du pays sur tous les intérêts partisans. L'union doit être l'unique mot d'ordre de la prochaine étape. » Pour Bochra Bel Hadj Hmida, la question est encore plus compliquée que cela. « Notre base et nos électeurs sont catégoriques quant à cette question, ils ne veulent pas voir Ennahdha participer au prochain gouvernement. En même temps, nous ne disposons que de 86 sièges au parlement – nous subissons les effets du régime parlementaire – et nos alliés naturels, Afek Tounes, L'UPL et le Front Populaire, n'ont pas saisi l'occasion de présenter à tous les électeurs de cette famille un gouvernement consensuel, ils ont, malheureusement, préféré mettre en avant leurs intérêts partisans et ont menacé de ne pas voter pour le gouvernement d'Essid. Je pense que la meilleure solution est que les Tunisiens s'expriment clairement pour que la solution soit trouvée au plus vite. » De son côté, Néji Jalloul a été plutôt direct. « Cette polémique traduit les limites de la classe politique Tunisienne. Le génie d'Essid a malheureusement voulu un gouvernement composé à plus de 30% d'indépendants. Le Front Populaire de son côté traîne les pieds ; d'un côté il refuse de participer au gouvernement et de l'autre il s'oppose à la participation d'Ennahdha au sein du même gouvernement. A présent, on est face à une décision douloureuse, et il faut être courageux. Si vous me dites que les Tunisiens ne souhaitent pas revoir Ennahdha au gouvernement, je vous réponds que si c'était vraiment le cas, ces derniers nous auraient accordé plus de 140 sièges au parlement. Contrairement à ce qui se dit de moi, je n'aime pas du tout Ennahdha, mais je suis réaliste. En disant qu'Ennahdha doit faire partie du prochain gouvernement, je ne fais que respecter une grande partie du peuple qui a voté pour ledit mouvement. » Toutes ces déclarations traduisent un fait qui ne peut plus être dissimulé : le mouvement Nidaa Tounes n'arrive toujours pas à mettre en place une position claire quant à la grande question d'Ennahdha et de sa participation au sein de la future équipe gouvernementale. Cela pourrait nous renvoyer à la composition même de Nidaa Tounes qui est, au final, une composition hétérogène composée de plusieurs courants politiques opposés et par moment, incohérents. Quand on voit la déclaration de Néji Jalloul par exemple, on se demande si les promesses qui étaient avancées par Nidaa Tounes tout-au-long de la campagne électorale des législatives étaient bien fondées ou faisaient juste partie d'un argumentaire de vote. Il faut toujours rappeler à Nidaa Tounes qu'une large majorité de ses électeurs a voté à son profit parce qu'il affichait un refus catégorique au mouvement d'Ennahdha. Personne n'oubliera la fameuse déclaration de Béji Caïd Essebsi quand il a dit « celui qui ne vote pas pour nous votera, d'une façon ou d'une autre, au profit d'Ennahdha ». On dirait que, finalement, tous les Tunisiens ont voté pour Ennahdha.