L'actualité tunisienne est aujourd'hui obnubilée par la composition du gouvernement Essid. Les fuites se multiplient et le pays est en attente de la nouvelle équipe gouvernementale, sachant que Mehdi Jomâa a déjà présenté la démission de la sienne. Plusieurs partis se disputent les postes ministériels. Le tout, pour faire en sorte que le gouvernement obtienne la confiance de l'Assemblée. La différence majeure entre le premier gouvernement proposé par Habib Essid et la version révisée qu'il devrait présenter lundi 2 février est l'intégration d'Ennahdha. C'est actuellement la réelle pomme de discorde dans la composition et au sein même de Nidaa Tounes. Chokri Mamoghli, ancien secrétaire d'Etat et membre du bureau exécutif de Nidaa Tounes, n'y est pas allé par quatre chemins. Dans un post Facebook daté du 29 janvier il déclare : « J'ai défendu Nidaa, j'ai appelé à voter BCE, je suis pour une certaine ouverture sur Ennahdha. Plus que ça, je fais partie du Bureau Exécutif de Nidaa. Je considère cependant que l'entrée de Mehrezia Laâbidi au gouvernement est un casus belli. Si cette ligne rouge est franchie, je déclare la guerre à tout le monde. Je n'irai pas de main morte ». Autant dire que l'intégration d'Ennahdha dans un gouvernement sous la houlette de Nidaa Tounes pose beaucoup de problèmes. Pour contourner ce cas épineux, certains au sein de Nidaa Tounes tentent de se défausser sur d'autres parties politiques qui sont principalement Afek Tounes et le Front populaire. Ils défendent en cela cette thèse : si ces deux formations politiques avaient accepté de faire partie du gouvernement sans poser de conditions, on serait assurés d'obtenir le vote de confiance et donc, on ne serait pas obligés d'intégrer Ennahdha au gouvernement. Autrement dit, ce sont Afek Tounes et le Front populaire qui, par leur réticence, vont faciliter, voire imposer, l'entrée d'Ennahdha au gouvernement. Par conséquent, Yassine Brahim et Hamma Hammami se retrouvent confrontés à une vague d'attaques et de dénigrements en tout genre. Une manœuvre dont Hamma Hammami est un habitué mais qui est nouvelle pour le leader d'Afek Tounes, Yassine Brahim. En effet, il s'est retrouvé taxé d'être à la solde d'Ennahdha, d'être leur « agent infiltré » et même d'obéir aux intérêts qataris en imposant le parti islamiste au gouvernement. Pour ce qui est du Front populaire, on rappellera la déclaration élégante de l'élu de Nidaa Tounes Mohamed Troudi. Dans une interview à Shems FM, l'élu n'a pas hésité à comparer la position de Riadh Ben Fadhel – qui avait qualifié la coalition entre Nidaa Tounes et Ennahdha de catastrophe nationale – à celle de ceux qui appelaient à dresser des potences. Il a ajouté à l'adresse du leader du Front populaire : « Qui t'a demandé la pointure de tes chaussures ! ». La classe. Toutefois, le raisonnement selon lequel le Front et Afek obligeraient Nidaa Tounes à intégrer Ennahdha pour obtenir le vote de confiance de l'assemblée ne tient pas la route. C'est ce qu'avait démontré par le calcul le M. chiffres de Tunisie, Hassen Zargouni. Avant la polémique sur la composition du gouvernement Essid bis, M. Zargouni avait démontré que sa première formation pouvait passer à l'assemblée avec une très courte majorité (lire notre article). Certes, ce n'est pas une majorité confortable pour lui conférer un statut de gouvernement d'union, mais c'est une majorité quand même. Donc, le gouvernement Essid dans sa première mouture pouvait obtenir les voix nécessaires pour pouvoir commencer à travailler, même sans les voix du Front populaire, Afek Tounes et Ennahdha. Alors pourquoi cette campagne ? La réponse réside dans le fait que Nidaa Tounes cherche à accomplir deux choses. La première est de constituer un vrai gouvernement d'union nationale qui ne pourra voir le jour sans le concours d'Ennahda, et en même temps, de ne pas porter la responsabilité politique d'une alliance avec le parti islamiste vis-à-vis de son électorat ni de plusieurs de ses cadres dirigeants. Une équation qui n'est réalisable qu'en jetant la responsabilité de l'entrée d'Ennahdha au gouvernement sur d'autres partis. Ces partis sont tout désignés : Afek Tounes et le Front populaire car ce sont les seuls partis qui ont mis des conditions à leur entrée au gouvernement. L'UPL, quant à lui, ne s'est pas fait prier pour entrer au gouvernement et a accepté ce qu'on lui avait cédé comme ministères. Nidaa Tounes aurait souhaité allier les partis politiques de la même manière que l'UPL de Slim Riahi. C'est une intention qui n'était pas cachée et c'est Béji Caïd Essebsi qui l'avait déclaré à maintes reprises pendant sa campagne. Il disait : « Nidaa Tounes ne gouvernera pas seul. La Tunisie n'est pas encore au stade où un parti peut gouverner seul. Nous continuerons sur le chemin du consensus ». C'est justement ce choix qui impose à Nidaa Tounes de s'allier avec Ennahdha, principalement, pour pouvoir gouverner sereinement et ne pas s'exposer à une opposition trop farouche à l'Assemblée. Sauf que Nidaa Tounes semble vouloir le beurre et l'argent du beurre. Nidaa Tounes veut, d'un côté, intégrer Ennahdha dans le gouvernement, conformément à la volonté de son chef et en concordance avec sa promesse électorale, et d'un autre côté, éviter de payer le prix politique d'une telle alliance. Lors de son passage à Midi Show sur Mosaique Fm, le 30 janvier 2015, Yassine Brahim, chef du parti Afek Tounes, a invité Nidaa Tounes à assumer ses responsabilités et à définir clairement ses alliés. Nidaa Tounes, du moins dans certaines de ses bases, a toujours été adepte de la stratégie de diabolisation des alliés. Pour la présidentielle, c'était de la faute de Hamma Hammami si Béji Caïd Essebsi n'est pas passé au premier tour. Pour le gouvernement, si Ennahdha en fera partie ce sera de la faute du Front populaire et de Afek Tounes. Il est vrai que cette stratégie a payé à un certain moment, mais plus maintenant. En tant que gagnant des élections, Nidaa Tounes a une responsabilité qu'il ne pourra pas jeter sur d'autres formations politiques. C'est en assumant ses responsabilités que de réelles dissensions se verront au sein du parti vainqueur des élections.