Alors que la commission de législation générale, au sein de l'ARP entamait hier l'examen du projet de loi relatif à la création du Conseil supérieur de la magistrature, tel que l'a annoncé Abada Kéfi, président de ladite commission, les magistrats ainsi que les huissiers notaires, ont observé dans la même journée, et presque concomitamment, une grève de protestation contre la dernière mouture du projet de loi concerné. La veille, les avocats de Sfax avaient organisé une marche dans la ville, à laquelle ont participé massivement les hommes en robe noir venus de différents gouvernorats de la République, sous l'égide des membres de la section régionale de l'Ordre. A cette marche des avocats suivra une autre, prévue pour demain à Tunis, ultérieurement à l'assemblée générale extraordinaire prévue pour aujourd'hui. Le mouvement des avocats a pour but de déplorer « l'agression de leur consœur Mahbouba Ben Farah, par les agents de la sécurité, ainsi que la traduction en justice de 38 autres avocats devant le juge d'instruction près le tribunal de Sfax. Une marche nationale des avocats est décidée pour demain à Tunis par l'Ordre national. Les juges ont à leur tour réagi contre l'attitude des avocats qui selon l'Association des magistrats tunisiens, ont « dépassé les limites de la bienséance et du respect de la profession en procédant à des actes de violence et d'atteinte à la pudeur sur la personne du procureur général de Sfax. Courroucés les juges ont réagi en conséquence, en expliquant aux médias et à l'opinion publique, suite à une conférence de presse organisée par l'AMT, que « les raisons profondes de l'attitude des avocats n'est pas l'agression prétendue des forces de l'ordre sur la personne de leur consœur. Cela a été un prétexte à la démarche secrète auprès du ministère pour avoir la part du lion au sein du Conseil supérieur de la magistrature ». Les juges persistent et signent, la grève qu'ils ont observée hier à travers tous les tribunaux de la République a été largement suivie. Evidemment sont exclues de cette grève, les affaires de terrorisme, celles touchant à l'intérêt des détenus, à la protection de l'enfance, ainsi que les affaires tenant à des délais précis sous peine de forclusion ou de nullité, ou les affaires en référé d'heure à heure. Par ailleurs un conseil national extraordinaire décidé par l'Association des magistrats tunisiens, aura lieu demain à Sfax afin de se concerter sur le projet du Conseil supérieur de la magistrature, dans sa dernière rédaction, et qui présente plusieurs lacunes de nature à porter atteint au pouvoir judiciaire. Huissiers notaires en colère Les juges ne sont pas les seuls à dénoncer une « machination » à l'occasion de la présentation de la parution dudit projet de loi sur le site électronique du ministère de la Justice. Abdelhamid Karoui, président de la chambre nationale des huissiers notaires a déclaré que cette « machination a eu pour but de priver les huissiers notaires d'être représentés dans le Conseil supérieur de la magistrature, en faisant remarquer que la dernière version du projet est totalement différente de celle parue le 9 mars dernier. «Machination», ou « transaction » des avocats avec le ministère de la Justice selon l'AMT, les membres de la composante civile estiment que leur exclusion est inconstitutionnelle. Dépêche du syndicat des magistrats à l'AMT De son côté Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens a exprimé sa pleine adhésion à la thèse de ses confrères concernant les points contraires à la Constitution que présente le projet de loi en question. «En effet il y a une régression par rapport aux acquis consacrés par la nouvelle Constitution quant à l'indépendance de la magistrature, puisqu'il est question dans le nouveau projet de loi que le chef du gouvernement intervienne dans la nomination des magistrats. » a-t-elle déclaré, ajoutant qu'elle a envoyé une lettre à l'ARP, l'appelant à revoir ces points afin de préserver le pouvoir judiciaire de toute atteinte. Eradiquer la corruption Finalement chacun des membres de la composante civile conteste la forme actuelle du projet de loi concerné. C'est d'ailleurs, selon la plupart des observateurs la cause profonde des derniers troubles dans le monde de la Justice, avec pour tableau de fond le litige entre avocats et magistrats. En réalité, « le vrai problème n'est pas dans le différend entre avocats et magistrats qui sont des partenaires de justice et qui peuvent parfois ne pas tomber d'accord sans jamais devenir des ennemis », a déclaré le bâtonnier Abderrazak Kilani qui a précisé notamment qu' « il est nécessaire de procéder à une éradication totale de la corruption dans le monde de la Justice, car c'est là que réside le mal ».