Revigoré par les 44,4 % des voix récoltés lors de la dernière présidentielle, l'ancien président ne rate aucune occasion pour jeter un pavé dans la mare, créer la polémique et lancer des piques largement médiatisées tantôt en direction de ses ennemis d'aujourd'hui, tantôt en direction de ses alliés d'hier. Pour cet ancien président de la Ligue Tunisienne pour la défense des Droits de l'Homme (LTDH), qui avait accédé au Palais de Carthage en 2011 à la faveur d'une alliance avec le mouvement islamiste Ennahdha et le Forum démocratique pour le travail et les libertés, tous les moyens sont bons pour se remettre sous les feux de la rampe médiatique. Vingt-quatre heures seulement après avoir reconnu la victoire à la présidentielle de Béji Caïd Essebsi, l'ex opposant notoire à Ben Ali a annoncé la création d'un nouveau mouvement politique en s'appuyant sur la dynamique citoyenne qui s'est créée autour de sa candidature. Baptisé mouvement du peuple de citoyens («Harak chaâb el Mouwatinine»), cette nouvelle entité politique que son initiateur refuse de classer en tant que parti vise à «empêcher le retour de la dictature». Selon les observateurs, Marzouki a ainsi tenté de couper l'herbe sous les pieds du parti qui l'avait fait roi en 2011. C'est en effet un secret de polichinelle que l'écrasante majorité des 1,3 millions d'électeurs de Marzouki est constituée de sympathisants du parti de Rached Ghannouchi. Lors du lancement officiel du Mouvement du peuple des citoyens, le 28 avril, au Palais des congrès de Tunis, l'ancien locataire du palais de Carthage a accusé le mouvement Ennahdha de s'être plié au diktat de riches pays étrangers «qui ont désormais leur mot à dire dans le choix de nos présidents et la détermination de nos politiques économiques». «Pas besoin de normalisation avec l'ancien régime par crainte de sa capacité de nuisance», a-t-il lancé en ultime pique en direction de son allié d'hier. Le discours prononcé par Marzouki le 11 mai à Doha, à l'occasion d'une conférence sur le devenir du Printemps arabe, et retransmis en direct sur la chaîne Al Jazeera a aussi fait sensation et provoqué des remous. Et pour cause: marchant délibérément sur les bandes de l'extrême gauche, l'ex- président s'en est pris à la bourgeoisie tunisienne, lui faisant assumer l'échec de la troïka et l'accusant d'avoir servi les intérêts de la contre-révolution. Pari sur une présidentielle anticipée Il est même allée jusqu'à menacer cette bourgeoisie «idiote» qui «va se mordre les doigts quand éclatera une nouvelle révolution qui risque d'être sanglante». Ces déclarations ont provoqué une grande controverse à Tunis. D'autant plus que Marzouki avait déjà parlé en 2013 de potences pour les opposants qui demandaient alors la chute du gouvernement de la troïka. La polémique a enflé davantage quand la chaîne privée Al-Hiwar Ettounsi a diffusé une vidéo tronquée de ces déclarations du fondateur du congrès pour la République (CPR). Saisissant cette balle au bond, Marzouki a porté plainte contre cette chaîne qui «tente de salir son image». Accusé par la coalition au pouvoir d'être derrière la campagne, lancée anonymement sur Facebook et intitulée «Winnou El Petrole» («Où est le pétrole ?» en arabe), qui a débouché sur des manifestations réelles, l'ancien président de la république a réussi à récupérer à son compte le mouvement même s'il a nié être son instigateur. «Me voilà accusé d'être derrière la campagne où est le pétrole. Il s'agit d'une accusation fallacieuse mais honorable. Fallacieuse car je ne suis pas derrière cette campagne, et honorable, car j'aurais aimés être l'auteur de cette idée géniale (...) Bravo à ces jeunes qui ont lancé cette campagne, c'est la preuve de l'avènement d'un nouveau phénomène : le contrôle populaire, le développement du sens patriotiques, et le peuple des citoyens, et que la révolution n'a pas dit son dernier mot», a-t-il habilement dit. Mais que se cache derrière cette activité trépidante de ce médecin de formation qui a été piqué très tôt par le virus de la politique ? Selon plusieurs observateurs, Moncef Marzouki cherche dès à présent de s'affirmer en tant que chef de l'opposition et de se remettre en selle pour la prochaine présidentielle. Les dirigeants du CPR évoquent d'ailleurs sans cesse une présidentielle anticipée au cas où Caïd Essebsi, qui s'apprête à souffler sa 89ème bougie, ne terminerait pas son mandat. Ce rêve d'un retour à Carthage de l'ex président pourrait, cependant, être contrarié l'éventuelle mise sur orbite par le mouvement Ennahdha d'un prétendant à la magistrature suprême car le «peuple des citoyens» n'est en définitive que «le peuple d'Ennahdha» comme l'a si bien dit Marzouki lui-même lors de la campagne électorale pour la présidentielle de décembre 2014.