Limoges est jusqu'au 3 octobre la capitale de la francophonie artistique avec plus d'une centaine de spectacles et d'événements de créateurs venus de partout : Bénin, Togo, Belgique, Suisse, Comores, Haïti, Congo, Roumanie, Tunisie, Côte d'Ivoire, France, Cameroun, Burkina Faso... Au-delà des pièces de théâtre et danse programmées aux Francophonies en Limousin, c'est toute une rue qui a été transformée à l'occasion de l'ouverture du festival. Une proposition artistique et scénographique de l'équipe burkinabè des Récréâtrales pour « rendre ludique la réflexion ». « C'est un scénario de désir, un scénario qui veut rendre ludique le fait d'avoir à réfléchir et à penser. » Ainsi décrit le scénographe Patrick Janvier son œuvre grande comme l'avenue Charles-de-Gaulle à Limoges : une rue peuplée d'installations et rythmée d'idées, une pièce urbaine écrite à travers des sculptures et des « salons » qui invitent à s'asseoir et à discuter. Limoges-Ouagadougou : une scénographie de rue Oui, il y avait bien la joyeuse fanfare béninoise Eyo'nlé qui avait investi cette avenue lors de l'inauguration du festival. Sur scène, les musiciens de Dans l'Shed donnaient un accent décalé et québécois à la Francophonie avant de laisser la place à la sonorité transculturelle et transcontinentale de l'African Salsa Orchestra. Mais le rythme le plus original et inédit de cette fête d'ouverture ne venait pas de la musique, mais de la scénographie de la rue, conçue par Patrick Janvier. Ironie de l'histoire, le metteur en scène et scénographe attitré des Récréâtrales burkinabè avait construit avec son équipe ouagalaise des lieux de rencontre et de liberté d'expression à Limoges, au moment même où se déroulaient le putsch militaire et le retour du gouvernement de transition au Burkina Faso. « Oui, c'est le vent de Ouaga qui souffle ici, affirme Patrick Janvier. On a installé un lieu de réflexion sur le pouvoir, les possibilités que peuvent avoir les êtres pour s'exprimer. J'avais vécu ces derniers jours avec une certaine culpabilité de ne pas être à Ouagadougou et avec une impuissance totale. En même temps, on avait un combat à mener ici, un combat pacifique, artistique, un combat d'idées. » Résultat : une rue rythmée par cinq « salons », chacun fabriqué dans des matériaux différents, du métal, des palettes retravaillées, du bois brut ou des fauteuils et tables réalisés en pneus récupérés : « C'est une belle matière noire, lisse, brillante, qu'on a pu associer avec du bois brut, bien lissé aussi. C'est une image de l'Afrique, des routes de l'Afrique. Quand on roule en Afrique, on a souvent des petites pannes, des crevaisons et on se retrouve chez les colleurs qui ont souvent des magnifiques pneus, des endroits où l'on s'assoie... » L'indestructible qui habite le sable Et puis il y a ces étranges sculptures colorées avec leurs socles surmontés de cubes habillés par des tissus africains qui semblent vouloir s'envoler vers les cieux : « Ces socles sont des compressions qui viennent de la déchetterie de Limoges, des compressions de cannettes d'aluminium ou de bouteilles en plastique, des matières colorées, chatoyantes. Ce sont des restes de notre civilisation posés sur du sable. Ce sont aussi des images de là-bas, l'indestructible qui habite le sable, les terres, ce plastique qui vient du pétrole qui envahit tout. » Une scénographie qui fait écho à la programmation des Francophonies, ce rendez-vous qui brasse et fait évoluer les cultures francophones du monde entier, à l'instar du Béninois Michel Pinheiro, fondateur en 2014 de l'African Salsa Orchestra qui chante, danse et joue du trombone tout en titillant le public. Avec ses musiciens venus du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, du Congo et de la France, il se fait plaisir en mélangeant les sonorités des cuivres, du piano et des tambours. Pinheiro qui a travaillé avec Tiken Jah Fakoly et les Mercenaires de l'Ambiance, a réussi avec son African Salsa Orchestra à faire voyager les spectateurs des Francophonies de Cuba au Bénin, un voyage musical initiatique au pays du vaudou à travers la salsa : « Déjà à l'origine, la salsa est un mélange de rythmes africains, un métissage entre la musique africaine et la musique européenne. A l'époque, les esclaves sont partis à Cuba avec les rythmes d'Afrique et ils les ont mélangés avec le piano occidental qui a donné naissance à la salsa. Pour nous Africains, quand on écoute cette musique, on se ressent dedans. C'est la continuité. » Pour Jean-Richard Codjia, percussionniste béninois qui fait vibrer les congas aux rythmes mandingues et reggae, « le cœur de l'African Salsa Orchestra est d'exprimer la musique latine avec la couleur toute pleine africaine. C'est basé sur nos origines africaines. Ça fait danser nos fantômes. » « Un monde de partage » Sans oublier l'actualité. Tous les responsables de la ville, du département et de la région ont envoyé un « salut fraternel » en direction du Burkina Faso. Etienne Minoungou du festival burkinabè Les Récréâtrales a interprété sa présence à Limoges comme la volonté de participer à « un monde de partage ». Michel Pinheira a dédié une chanson « au peuple burkinabè qui a dit non » pour soutenir l'esprit de Ouagadougou et surtout « l'esprit de paix dans le monde, l'esprit de tranquillité. Je pense que c'est ça qu'il faut véhiculer aujourd'hui. Il faut faire taire les armes. Il faut qu'on arrête les conneries. Ce qui compte c'est l'amour entre les humains. S'il y a de l'amour, il n'y aura pas de problèmes. » Un sentiment partagé aussi par Yssouf Yaguibou, le scénographe burkinabè qui avait transformé avec Patrick Janvier, Paulin Ouédraogo et le service des espaces verts de la ville, l'avenue Charles-de-Gaulle en lieu de débat universel : « Ici, on a un pied à Ouaga et on est aussi à Limoges. Ça fait plaisir de pouvoir donner de la joie. Pour le Burkina, je croise les doigts, mais je me suis dit que partout où il y a beaucoup d'esprits qui veulent une chose, ça marche toujours. Ce que le peuple voudra, c'est ce qui arrivera. Je suis ici à Limoges, mais avec mon cœur je suis avec tous les Burkinabè à Ouagadougou. »