Il y a un peu plus de quatre ans, la Tunisie faisait sa « révolution ». Un changement politique s'en est suivi mais aussi et surtout social. La Tunisie d'aujourd'hui n'a presque plus rien à voir avec celle d'avant 2011 et ce, sur différents points. Parmi les conséquences collatérales de la Révolution, un surprenant baby boom qui a intrigué les spécialistes et a amené les démographes à réviser leurs prévisions pour les prochaines décennies. Durant ces cinquante dernières années, la courbe de natalité a connu, en Tunisie, d'importantes variations. Dans les années soixante, les femmes tunisiennes accouchaient en moyenne de 7 enfants. En 2000, elles ne donnaient plus naissance qu'à deux enfants en moyenne. Cette diminution conséquente est le fruit d'un modèle de développement combiné à une politique de natalité mis en place par le président Bourguiba après l'indépendance. L'accès pour tous à l'école, la promulgation du Code du Statut Personnel (CSP) et les réformes apportées au Code de la famille avaient eu pour effets directs de réduire la courbe de natalité en Tunisie. Pour Youssef Courbage, démographe spécialiste du Proche-Orient et directeur des recherches à l'Institut national des études démographiques, la Tunisie a longtemps été considérée par les démographes arabes comme un modèle à suivre. Mais au spécialiste d'ajouter que le pays connaît, depuis au moins trois ans, une remontée démographique notable. Un phénomène étroitement lié aux bouleversements socio-politiques que traverse la Tunisie depuis 2011 et baptisé «contre transition démographique». La succession à vitesse vertigineuse des événements et des transitions, l'angoisse générale suite aux attentats terroristes, les couvre-feu, la peur ambiante et le sentiment d'insécurité ont eu raison du taux de natalité stable en Tunisie. En 2014, le taux de fécondité moyen est passé à un peu moins de 2,5 enfants. Une remontée considérable et quelque peu inquiétante pour les démographes. Le phénomène n'est pas exclusif à la Tunisie puisque l'Egypte, pays qui a aussi connu une révolution, enregistre également depuis trois ans une hausse du taux de natalité. Saloua Al Habib est sage-femme depuis près de seize ans dont plus de quatorze passés au service de néo-natalité à l'hôpital Wassila Bourguiba à Tunis. Elle a aidé des milliers de femmes à accoucher et cerne mieux que quiconque le phénomène d'augmentation de la natalité depuis quelques temps. Elle témoigne : « Avant la Révolution, le rythme des naissance était stable, presque immuable. Chaque année, nous enregistrions un pic durant la période allant du mois d'avril à août. Puis, c'était quasiment le calme plein, à quelques exceptions près. Dans notre jargon, on appelle cela ‘‘ la haute saison ''. Depuis la Révolution, tout a été chamboulé et le rythme des naissances s'est intensifié au quotidien. Depuis 2012, nous n'enregistrons plus de pic à une période précise mais c'est le rush tout au long de l'année même si cela commence lentement à se stabiliser ». Pour Youssef Courbage, cette hausse de la natalité en Tunisie et dans le monde arabe n'est qu'un épiphénomène. Les taux de fécondité devraient progressivement se stabiliser et revenir à la normale. Selon un rapport publié en juillet dernier par l'ONU sur les perspectives de la population mondiale, la Tunisie devrait compter près de 13,5 millions habitants en 2050 et près de 12,5 millions en 2100. Le nombre de personnes âgées de 0 à 59 ans devrait également accuser une baisse conséquente au profit de celui des citoyens âgés de plus de 60 ans. Toujours selon ce rapport onusien, l'âge moyen des Tunisiens devrait augmenter de plus de 15 ans d'ici 2100 ainsi que l'espérance de vie. Le taux de décès infantile devrait quant à lui baisser.