La Tunisie a entamé le 19 octobre 2015 des négociations dans le cadre de l'accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) avec l'Union Européenne sur la libéralisation des échanges des produits agricoles et des services. Les premières discussions vont démarrer avec la partie européenne pour examiner les moyens de libéraliser le secteur des services et faciliter l'accès des produits agricoles nationaux au marché européen, dans la perspective d'améliorer la balance commerciale et de renforcer l'économie tunisienne. Pour la Commissaire européenne, ce nouvel engagement augure un partenariat mutuellement bénéfique, mais qui devrait être aussi asymétrique, étant donné les défis et les spécificités économiques propres à chacune des deux parties. Cet accord qui se veut une façon de renforcer les relations de partenariat apportera un soutien aux multiples réformes économiques, boostera l'investissement et favorisera un climat d'affaires très favorable aux investisseurs européens. Ce n'est pas l'avis de l'expert fiscal Lassad Dhaouadi lors de son passage dans une radio privée où il a précisé que cet accord de libre échange n'est pas à la hauteur des attentes, porteuses de vraies réalisations socio-économiques, tenant compte de la compétitivité inégale entre les deux systèmes économiques. « Nous ne sommes pas préparés à la libéralisation agricole car il faudrait avant tout valoriser les produits agricoles locaux et assurer la sécurité alimentaire. Cette ouverture nuit à nos acquis. La prudence s'impose, d'autant que cette libéralisation touche à des produits de base et qu'il y a lieu d'accorder l'importance requise aux aspects social et rural qu'ils revêtent. La libéralisation croissante des échanges agricoles va se révéler une calamité pour les exploitants familiaux et notamment pour ces 500 mille fellahs tunisiens dont la superficie moyenne ne dépasse pas l'hectare. Le résultat : une invasion des importations agricoles à bas prix qui va littéralement laminer les petits producteurs. Avec la mise en place des accords de libre-échange, du jour au lendemain parfois, ces petits agriculteurs seront incapables de rivaliser avec les poids lourds internationaux de l'agro-industrie, hautement compétitifs, et d'autant plus compétitifs qu'ils ont bénéficié – et bénéficient toujours – d'une généreuse politique de subsides et/ou de soutien ou peuvent miser comme l'ont fait dans plusieurs pays africains sur de bas salaires et des taxes foncières souvent très faibles, voire inexistantes. Nos agriculteurs vont se trouver dans l'incapacité d'écouler leur propre production. Piégés dans une spirale d'endettement, moins encadrés et soutenus qu'auparavant, ils n'ont d'autres choix que de céder leur terre ou leurs bras aux plus offrants (grands propriétaires terriens, entreprises agro-industrielles, etc.) ou d'écouler vers les agglomérations urbaines. » Avec le processus de mondialisation, caractérisé par une transformation rapide des modes et des techniques de production, de commercialisation et de consommation, et l'émergence d'une nouvelle répartition universelle du travail, cette libéralisation entrainera certes un profond bouleversement du paysage agricole tunisien. Ceci va permettre aux grandes firmes du complexe agroalimentaire (producteurs de fertilisants et de semences, intermédiaires commerciaux, industrie agroalimentaire, grandes chaînes de distribution,) d'exercer leur suprématie sur l'agriculture tunisienne. Le développement des exportations agricoles sur le marché européen, suppose actuellement des efforts de modernisation de la production et de la commercialisation et une adaptation de la production aux normes privées et publiques du marché communautaire. Et là il faudrait mettre en place les mécanismes nécessaires pour réussir la libéralisation des produits agricoles. La libéralisation des échanges agricoles n'aurait-elle donc que des effets négatifs. ? « Certainement pas. La disparition des barrières douanières entre la Tunisie et l'Europe fluidifie les échanges qui existaient déjà, et offre aux producteurs l'accès à des bassins de consommation plus importants. Quel que soit le choix politique de la Tunisie vis-à-vis de la libéralisation proposée, l'enjeu d'avenir souligne l'agronome Jean François Richard , réside dans la capacité nationale à mettre sur le marché et à commercialiser des produits agricoles de qualité, gage de compétitivité et de mise à niveau du secteur agricole ainsi que de l'expression de son potentiel commercial, sur le marché intérieur comme à l'export. Cet enjeu aura d'autant plus d'importance que la libéralisation des échanges sera effective. Il implique une redéfinition du rôle de l'Etat vis-à-vis du secteur privé.