Afraa Ben Azza a 17 ans. Elle est mineure. Originaire du Kef, elle est inscrite en 3ème année secondaire, section Lettres. Mercredi, cette lycéenne a été arrêtée et placée en garde à vue au poste de police et a comparu hier devant un juge d'instruction. Son crime ? Avoir osé émettre un avis et voulu participer à un mouvement protestataire organisé par des militants keffois. Elle est belle et rebelle. Son seul tort aura été, comme à chaque fois, de croire qu'elle avait tous les droits, y compris celui de manifester et de protester lorsqu'elle n'est pas d'accord avec les décisions d'autrui qui la concernent directement. Du haut de ses 17 ans, Afraa Ben Azza est une militante engagée, membre active du mouvement « Manich msamah » (Je ne pardonne pas). Selon le communiqué publié par les organisateurs de cette campagne, l'arrestation de la jeune lycéenne a été accompagnée de violence verbale et physique. Des accusations entièrement réfutées par des sources proches du parquet. Toujours selon ce document, Afraa aurait été malmenée et empêchée de contacter un avocat. Au poste de police, elle aurait subi un interrogatoire avant d'être contrainte de signer deux procès verbaux dont celui de sa garde à vue. Ce n'est qu'après qu'elle a pu répondre aux appels téléphoniques incessants de son avocate. A travers ce communiqué, les membres de la campagne « Manich msamah » condamnent l'arrestation, l'agression et la garde à vue d'une mineure et dénoncent la campagne d'intimidation et le harcèlement policier et judiciaire que subit la jeune militante depuis quelques temps. Au mois de septembre dernier, Afraa avait déjà été arrêtée et traduite devant la justice. Deux policiers l'avaient appréhendée alors qu'elle était en route vers le premier rassemblement protestataire organisé par la campagne « Manich msemah » au Kef. Conduite au poste de police, elle a été longuement interrogée sur ses appartenances politiques et sur le tee-shirt qu'elle portait. Relâchée au bout de quelques heures, elle aurait été avertie qu'en cas de récidive, elle serait de nouveau arrêtée, inculpée de vouloir renverser le régime, d'incitation à la désobéissance civile et d'insulte envers le corps sécuritaire et qu'elle serait jugée selon la fameuse loi antiterroriste. Un rassemblement de soutien a été organisé hier après midi devant le Théâtre municipal de Tunis pour appeler à la libération immédiate de la jeune fille. Par ailleurs, le ministre de l'Intérieur a ordonné l'ouverture immédiate d'une enquête à ce sujet et des agents de l'inspection générale de la sûreté nationale se sont rendus au Kef pour s'enquérir des circonstances et conditions d'arrestation de la jeune fille qui les a rencontrés hier peu après midi. Finalement, elle a été libérée dans l'après-midi et son procès fixé au 23 décembre. Elle est accusée d'outrage à fonctionnaire public et agression sur les réseaux sociaux. Où en sommes-nous de la révolution ? Afraa n'a que 17 ans. L'âge des roses comme dirait le poète. Hier, elle est passée devant un juge pour répondre de ses actes, comme une grande. C'était le 17 décembre, jour anniversaire du déclenchement de la Révolution tunisienne. Un jour de célébration nous dit-on. Mais pouvons-nous seulement nous le permettre dans ces circonstances et surtout que retenir de ces cinq dernières années? L'arrestation d'une mineure pour avoir voulu manifester? L'arrestation il y a quelques jours d'une autre mineure aux alentours de son lycée pour avoir tenu son camarade de classe par le bras? Les jeunes et notamment des artistes croulant en prison pour un joint et la pérennité de la loi 52 ? Les procès intentés à tort et à travers aux blessés de la révolution? Les examens anaux que subissent les individus soupçonnés d'homosexualité ? La recrudescence de la violence dans la rue et dans les établissements scolaires? Le taux de suicide enregistrant un pic chez les enfants et les jeunes depuis quelques temps? Le fait que la Tunisie soit devenue l'un des plus grands exportateurs de djihadistes au monde? La psychose et la peur de l'autre qui règnent au fond de chacun de nous désormais? Le terrorisme qui a décapité le tourisme tunisien et ébranlé presque tous les autres secteurs économiques ankylosés de nature? Le précieux sang de nos martyrs, civils et agents sécuritaires et celui des touristes morts en visitant notre pays? La persistance de la corruption qui ne cesse de ronger la Tunisie de l'intérieur? Le pouvoir d'achat en berne des Tunisiens? Les incessantes divisions politiques et les querelles intra-utérines au sein du parti au pouvoir? Certes, il y a eu quelques acquis en ces cinq ans postrévolutionnaires, des élections libres et démocratiques aussi et un prix Nobel de la Paix. Mais à l'origine de la révolution, trois revendications principales: travail, liberté, dignité ? Où en sommes-nous à ce propos ?