"Silence s'il vous plaît ! Je vais finir par évacuer la salle si j'entends encore des réflexions déplacées. Respectons la solennité des lieux !" Il faisait une chaleur insupportable dans la salle n°5, où se tenait l'audience de la chambre criminelle du tribunal de Tunis. Le président, d'un embonpoint assez prononcé était emmitouflé dans sa toge noire, bordée de satin rouge, couleur destinée aux hauts magistrats et grands pontifes de la cour. Incommodé par la chaleur, il avait enlevé sa toque qui lui couvrait la tête en la plaçant sur le pupitre derrière lequel il était assis ainsi que le reste des magistrats assesseurs. Il ne cessait de demander le silence, à cause d'un vacarme persistant qui l'empêchait de mener les débats dans le calme. Il était en train de poser des questions précises à l'accusé, un jeune étudiant impliqué dans une affaire enchevêtrée et très délicate. "Que faisait cette valise chez vous ?" lui dit le président. -"A ma descente d'avion et avant d'arriver au contrôle de la police des frontières, un vieillard m'a abordé et m'a demandé de l'aider à prendre une des quatre valises se trouvant sur le chariot qu'il poussait avec peine". -"Ensuite" ? -"Eh bien quand le douanier m'a demandé d'ouvrir la valise en question, le vieillard a complètement disparu !". -"Tiens donc ! il s'est peut-être volatilisé". -"C'est la vérité, monsieur le président. Je l'ai cherché surtout, lorsqu'en ouvrant la valise, j'ai constaté avec stupeur qu'elle contenait des stupéfiants. Mais en vain !" -"Comment avez-vous reconnu que c'était des stupéfiants ?". -"C'était des petits sachets blancs tel qu'on en voit dans les films". -"Vous vous êtes pris pour Belmondo, pour un moment. Mais revenu à la réalité, vous vous êtes rendu compte que vous étiez dans le pétrin". -"Absolument, monsieur le président". "Vous persistez donc à dire que c'est une valise qui ne vous appartient pas ?" -"Oui monsieur le président" -"On va voir ce que disent les témoins que nous allons appeler à la barre". -"Sabry Ben Messaoud". -"Présent, monsieur le président" -"Dited je jure par Dieu de dire la vérité". -"Je le jure". -"Vous avez pris le même avion que l'accusé, que vous voyez actuellement à la barre ?". -"Tout à fait, monsieur le président". -"Vous maintenez votre déclaration devant la police, et persistez à dire que la valise lui appartient bel et bien ?". -"Oui monsieur le président. Il avait la même valise à l'embarquement de l'aéroport d'Orly. J'étais juste derrière lui, à l'enregistrement des bagages". -"C'est faux, monsieur le président. J'avais une valise marron. Elle porte encore le ticket d'embarquement avec les références de mon billet d'avion. Quant à la valise noire en question, elle ne portait aucun ticket ni aucune référence". Et le président s'adressant au témoin : -"Merci monsieur, vous pouvez aller vous rasseoir". On va appeler le deuxième témoin : -Mme Halima Ben Houcine ! -"Présente, monsieur le président !" -"Jurez par Dieu le Tout Puissant de dire la vérité et rien que la vérité". -"Je le jure !" -"Vous connaissez l'accusé ?" -"Bien sûr, monsieur le président, c'est mon neveu, je l'ai connu tout petit. Il est presque né devant moi ! Il avait à un moment donné, et avant d'aller en France pour faire des études, été mêlé à une affaire de stupéfiants, en tant que consommateur, je le précise bien. Il avait passé une cure de désintoxication avant de quitter la Tunisie. Ce n'est pas du tout un délinquant et il avait coupé court avec la drogue, pour toujours". -"Et cette valise qu'on a trouvée en sa possession, et qui contenait de la cocaïne ?" -"Mamma mia, de la cocaïne ?" jamais mon neveu n'a touché à ça. C'est sûrement pas sa valise. Cela dit je ne peux pas vous dire plus, monsieur le président". "Merci madame, vous pouvez disposer". Il est vrai que ce jeune étudiant avait été un consommateur de stupéfiants. Mais ce n'était pas de la cocaïne, mais de la "Zatla" comme l'appellent communément les habitués. Il avait à un moment donné, été arrêté en flagrant délit de consommation et était porteur d'une infime quantité de "Zatla". Condamné à un an de prison, il avait à sa sortie de prison passé une cure de désintoxication, grâce à son oncle qui l'avait élevé tout jeune, à la mort de son père. Cependant, bien de l'eau a coulé sous les ponts depuis. Son oncle l'envoya en France pour poursuivre des études en informatique et cela faisait quatre ans qu'il y était installé à ce titre. Cependant les présomptions dans cette affaire étaient tellement accablantes en ce qui le concernait, qu'il ne put bien se défendre et ce malgré une plaidoirie remarquable d'un ténor du barreau. Il fut condamné à quatre ans d'emprisonnement et "ce n'était pas cher payé" d'après l'expression de son avocat qui lui promit toutefois de faire appel. Entre temps la brigade des stupéfiants a saisi une deuxième valise, cette fois-ci dans un taxi, et qui contenait également de la cocaïne. Le chauffeur du taxi interpellé dira qu'elle a été oubliée par un client. Grâce aux signalements qu'il donna à la brigade concernée, celui-ci put être arrêté. Mais cependant, il nia être le propriétaire de ladite valise, ni avoir jamais pris le taxi en question. L'enquête révéla plus tard que le chauffeur de taxi avait à un moment donné pris le même avion que le jeune étudiant. Confronté avec celui-ci il déclara ne pas le connaître et ne l'avoir jamais vu. Quant à l'étudiant, il ne put malgré la procédure d'appel, prouver son innocence qu'il n'a cessé de clamer. Mais à qui appartenait la valise noire ? On ne le saura jamais. Quant à la valise trouvée dans le taxi, elle portait les initiales FT. Mais cela ne permit jamais aux enquêteurs d'en connaître le propriétaire.