Le politologue français et spécialiste de l'Islam et du monde arabe contemporain, Gilles Kepel, était à Tunis au cours de cette semaine pour présenter son nouvel ouvrage « Terreur dans l'Hexagone, genèse du djihad français ». Après quelques rencontres officielles, avec le président de la République, Béji Caïd Essebsi,et avec le chef du mouvement d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, Gilles Kepel a tenu une conférence de presse à Dar Al Dhiafa. Sous l'égide de l'Institut tunisien des études stratégiques, la rencontre avait pour thème les circonstances ayant entouré l'émergence des organisations terroristes, sachant que ladite conférence a été marquée par la présence de plusieurs personnalités nationales et politiques. Revenant donc aux circonstances de la naissance des organisations terroristes, Gilles Kepel a assuré que ces dernières ont vu le jour lors de la guerre froide. Selon le politologue, l'élément déclencheur était la proclamation de la République islamique d'Iran par l'ayatollah Khomeiny. Etant le voisin du sud de l'Union Soviétique, l'Iran avait commencé à jouer un rôle majeur dans la constitution des alliances occidentales. Souhaitant réinstaurer le régime communiste en Afghanistan, Moscou opère une intervention militaire dans ce pays. Les Etats-Unis d'Amérique et le Royaume d'Arabie Saoudite ne restent pas les mains croisées et réagissent en utilisant le Djihad. Le spécialiste de l'islam et du monde arabe contemporain explique que cette manœuvre a fait d'une pierre deux coups: les deux alliés pouvaient enfin viser l'Union soviétique tout en stoppant l'expansion iranienne qui avait, d'ores et déjà, pris le langage islamo-politique comme principale stratégie. Pour les Etats-Unis, cette stratégie leur permettait aussi de ne plus être obligés d'envoyer leurs propres soldats mourir sur le front. Revenant sur le cas de la France – qui a connu deux grands attentats sanglants au cours de l'année précédente – Gilles Kepel a indiqué que l'ingénieur syrien, Abou Massab El Souri, avait mis en place, en 2004, toute une stratégie pour enraciner les traditions culturelles radicales dans les sociétés occidentales en général et dans la société française en particulier. M. Kepel a expliqué que grâce à l'avancée d'Internet et, surtout, avec l'avènement de Youtube et de Facebook ou encore de Tweeter, les djihadistes terroristes disposent désormais d'un large terrain pour propager leurs idéaux, ce qui les aide à recruter de nouveaux éléments extrémistes. Questionné sur l'attentat qui a visé le journal satirique Charlie Hebdo en janvier 2015, Gilles Kepel a indiqué que suite à cet attentat, Daech avait réussi à séduire quelques « simplistes musulmans » parmi ceux qui ont toujours été heurtés par les caricatures représentant le Prophète. Et d'ajouter que l'attentat du 13 novembre leur a fait perdre leur capital sympathie auprès du large public musulman qui n'a pas réussi à avaler cet acte sanglant. En ce qui concerne le cas de la Tunisie, le politologue français a estimé que, pour l'Etat islamiste, l'expérience tunisienne représente une «horreur absolue» puisque, contrairement aux autres pays ayant connu la «révolution», la fin a plutôt mal tourné avec la disparition « officielle » de l'Islam politique de la scène.