Coup sur coup, le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Khalil a fait deux propositions qui semblent trouver des échos favorables chez les décideurs. Il a commencé par proposer, en catimini, la dispense de cours d'apprentissage du Coran au sein des établissements scolaires durant les vacances d'été, une disposition connue, seulement, après avoir été rapidement acceptée et adjugée par le ministre de l'Education, Néji Jelloul. Et d'un ! Ensuite, présidant l'ouverture des travaux de la 3ème conférence internationale sur la zakat, tenue le 20 avril courant à Tunis, le même ministre des Affaires religieuses, Mohamed Khalil, a appelé à la création de trois fonds pour la Zakat: un fonds pour les personnes démunies, un pour la collecte des contributions, et le 3ème pour les endettés. Et de deux ! D'un célèbre inconnu, confiné dans les méandres de l'administration de certains départements ministériels depuis l'ère de l'ancien régime, Mohamed Khalil est devenu un super ministre dans le sens où il a réussi, en l'espace, de quelques jours, à faire passer deux idées longtemps défendues par les cercles islamistes. Sachant que pour la seconde concernant la « zakat », elle est âprement défendue par les milieux de la finance islamique dont, notamment, l'Association tunisienne de la finance islamique (ATFI). D'autant plus qu'il a fallu attendre l'arrivée de Mohamed Khalil à la tête du département des Affaires religieuses pour se rappeler que ledit fonds de la « zakat » rapportera une moisson de « plus de 3,5 milliards de dinars par an ! ». En voilà une somme mirobolante que l'Etat va obtenir sans négociations, sans intérêts et sans avoir besoin de rembourser. Une véritable aubaine. Mais la question qui se pose est celle de savoir les modalités à suivre pour assurer l'entrée de ces sommes colossales au moment où plus de la moitié des Tunisiens rechignent à payer leurs impôts. Autre question. Celui qui va payer cette aumône, comment va-t-il expliquer son refus de s'acquitter de son devoir fiscal ? Ceci, côté purement technico-financier. Car, ces deux faits ont, sûrement des dessous politiques. Premier constat : Ce qu'Ennahdha n'a pu faire passer, même durant sa mainmise sur les rouages du pouvoir du temps de la Troïka, vient d'être obtenu en un tournemain. Un vrai tour de prestidigitation ! D'ailleurs, sans crier gare et sans forcer, Mohamed Khalil s'est dit favorable même à un projet de loi portant création d'une institution tunisienne de la Zakat (aumône légale, impôt sur les biens) et qui sera placée sous la tutelle des ministères des Affaires sociales et des Finances. Dans les faits, il s'agira de la création de trois fonds pour la zakat. L'un recevrait les dons pour les personnes démunies, le deuxième recevrait des « contributions » et le troisième aurait pour objet de récolter les dons pour les personnes endettées et qui s'appliquera, aussi, aux familles ainsi qu'aux entreprises publiques et à l'Etat lui-même. Il faut dire qu'il se trouve que le ministre a, déjà, sa propre vision et sa conception toute prête de la question. « La Zakat pourrait contribuer à la lutte contre le chômage, à l'injection de liquidités et l'accroissement du taux de croissance », assure le « super ministre » qui a déjà recommandé la formation d'une commission « chargée d'étudier les propositions y afférentes sous un angle scientifique ». Le ministre s'interroge, innocemment : « Pourquoi ne pas orienter cet argent pour honorer les dettes de l'Etat? ». Plus encore, il assure qu'il y a la possibilité d'honorer les dettes des familles nécessiteuses avec cet argent et réduire l'endettement des municipalités, de l'Etat et des entreprises publiques... ». A en croire ces propos et ces thèses, on se croirait face à un remède miracle aux maux de tous en allant de l'Etat jusqu'aux simples personnes physiques. En voilà une solution à tous les problèmes économiques et sociaux de la Tunisie, une solution qui avait échappé à tous les experts financiers et économiques depuis des décennies, mais qu'on a fini par trouver grâce à l'avènement du ministre actuel des Affaires religieuses. Qui a dit qu'il faut séparer la politique de la religion ? Eh bien, il ne fallait pas, justement, puisque la religion peut produire des miracles étayés et expliqués par un ministre dont personne ne soupçonnait les hautes compétences. En bref, on est en chemin vers l'institutionnalisation des deux points réclamés par les milieux islamistes en l'occurrence l'apprentissage du Coran sur les lieux mêmes des écoles de la République et la création des fonds de la zakat. Avec l'islamisation de l'éducation et des finances, que reste t-il à la Tunisie pour intégrer les rangs des pays monarchiques du Golfe ? On touche, là, à deux secteurs clés de la dynamique nationale. Et comme le font remarquer certains analystes pertinents, les deux propositions ont été faites et presqu'adoptées sans aucun débat préalable comme cela s'est toujours passé pour des cas similaires. A souligner, également, que les auteurs de ces deux points n'ont, en apparence, aucun lien avec le parti islamiste Ennahdha. C'est un ministre des Affaires religieuses qui n'a pas des accointances notoires avec les partis islamistes, mais qui est, tout de même, connu pour ses thèses proches, voire plus, de celles islamistes sans qu'il ne l'ait jamais avoué. Mais ses actes le prouvent. D'ailleurs, le silence observé par le parti d'Ennahdha, après le limogeage d'Othman Battikh, en dit long sur l'aval qu'il y avait donné. Sans tapage. Sans oublier le silence curieux des dirigeants du parti de Ghannouchi et l'absence étrange et anormale de tout commentaire de leur part concernant ces deux faits majeurs. La consigne est claire : Il ne faut pas que les milieux islamistes s'affichent à propos de ces deux questions. Cette absence d'intérêt à ces propositions qui vont métamorphoser la vie des Tunisiens, s'est accompagné d'une campagne et d'une polémique sans précédent et frisant l'hystérie sur les différents plateaux radiotélévisés concernant l'homosexualité. Comme si c'était l'affaire de l'année ! A moins que ce soit une simple opération de diversion pour faire occuper les Tunisiens afin que les deux autres points évitent les critiques. Et quand les gens se réveilleront, en de pareils cas, il sera trop tard pour réagir. D'ailleurs, concernant l'apprentissage du Coran durant l'été, on a constaté, à titre d'exemple, une critique trop tiède de la part du Syndicat national des journalistes tunisiens et un soutien total d'Issam Chebbi d'Al Joumhouri ! Par contre, sur les réseaux sociaux, là où la société civile est plus présente et plus dynamique, les critiques ont fusé de toutes parts et Néji Jelloul, qui avait les faveurs des internautes et des intellectuels, a subi les flèches les plus acerbes prenant un sérieux coup pour son grade. Cette nouvelle évolution du paysage politico-social semble être sérieusement impactée par l'entente clairement établie, pour ne pas dire, carrément alliance, entre Ennahdha et Nidaa dont « les lignes parallèles » ont fini, contrairement à toutes les lois et les théorèmes de mathématiques, par se croiser !