La situation ne cesse de se dégrader, depuis la révolution, et les dépassements et les transgressions de la loi, à tous les niveaux, sont devenus, pratiquement, le lot quotidien de la vie du Tunisien paisible qui vit dans la crainte d'en être la victime, un jour, dans l'impunité la plus totale. Cette impunité est devenue tellement flagrante qu'elle risque, aujourd'hui, de saper les fondements de l'Etat moderne que le leader Habib Bourguiba a institué depuis son arrivée au pouvoir, de même qu'elle est devenue une gangrène qui ronge l'économie nationale. Tout commence par les choses les plus banales de la vie quotidienne et les petits dérapages impunis deviennent, petit à petit, de grandes transgressions de la loi force auxquelles il est difficile de s'arrêter. La Tunisie a, certes, vécu durant près de trois décennies, un régime dictatorial qui a instauré le règne de la peur et la crainte du joug du dictateur et de ses services. Toutefois, cette période n'a pas manqué de faire naître une certaine impunité pour les privilégiés du régime et de leurs protégés, permettant l'apparition d'une classe de personnes bénéficiant de l'impunité totale, quels que soient leurs méfaits. La révolution n'a pas fait mieux et ces privilèges qui se limitaient à une classe formée des parents de l'ancien président, avec à leur tête son beau-frère Belhassan Trabelsi, et leurs humbles serviteurs, se sont propagés vers les dignitaires de la Troïka et leurs protégés, ainsi que de simples citoyens qui se sont arrogés le droit de bénéficier de certains pouvoirs et des libertés qui, en principe, sont punis par la loi. Dérapages incontrôlés Le proverbe dit que celui qui vole un œuf, volera un bœuf et cela s'est vérifié, à travers les âges et les pays. Aujourd'hui, la Tunisie vit au rythme de ces dérapages, à commencer par la circulation automobile qui connait une pagaille incommensurable, avec des automobilistes dont la majorité ne respecte pas les règles de la circulation les plus simples et qui stationnent n'importe où et n'importe comment. Pourtant, il aurait suffi d'appliquer la loi qui reste toujours la même et qui veut que toute infraction aux règles de la circulation et du stationnement soit sanctionnée par la législation, selon son importance. Actuellement, le terrain gagné par ces insoumis est difficilement récupérable et il est nécessaire de sévir d'une main de fer, pour rétablir l'ordre, dans ce domaine, surtout que ces dépassements coûtent très cher à la communauté. L'encombrement de la circulation et les embouteillages sont à l'origine de retards, d'entrave à la fluidité du trafic et de maintes autres difficultés, notamment avec des fonctionnaires et des travailleurs qui n'arrivent jamais à temps, l'impossibilité de trouver un parking, une consommation de carburant loin d'être normale et une rentabilité presque nulle au travail avec des gens sur leurs nerfs. Pour ce qui est du transport en commun (train, bus et métro) le respect de la règlementation est à son bas niveau. J'ai vu même des bus qui stationnent devant des cafés, avec des chauffeurs et des receveurs attablés sirotant leur café du matin, alors que d'autres évitent de suivre l'itinéraire qui leur est fixé ou ne s'arrêtent pas aux stations. Pourtant, il aurait suffi que chacun fasse son travail, que les contrôleurs relèvent ces infractions et les transmettent à leur direction pour que les mesures nécessaires soient prises. De même, l'application de la loi pourrait nous éviter d'importantes pertes sur tous les plans. La spéculation bat son plein Un autre phénomène qui gangrène l'économie nationale, celui des produits de la contrebande et de la spéculation vendus au su et au vu de tout le monde, sur des étalages anarchiques, dans toutes les rues des villes du pays. Comment expliquer la pénurie de cigarettes tunisiennes, alors que les usines de la Régie nationale du tabac et des allumettes fonctionnent à plein rendement, mieux encore avec un nouveau matériel qui vient d'être acquis, récemment ? Simplement, il est nécessaire de savoir que des spéculateurs ont envahi, ces derniers temps, toutes les recettes des finances du pays, proposant un bénéficie un peu plus important aux gérants des débits de tabac pour les pousser à leur céder leurs achats, afin de les commercialiser, par la suite, au prix qu'ils imposent. Un gérant de débit de tabac m'a raconté qu'il avait été abordé par un spéculateur qui lui avait proposé de lui céder ses achats de 3000 dinars, pour la somme de 3600 dinars, sachant que les bénéfices qu'il peut tirer de ses ventes ne peuvent atteindre que 180 dinars, seulement. L'offre était alléchante et le gérant a cédé. Ces agissements se passent en plein jour, sous le regard, parfois bienveillant des agents de la recette, et nul ne pense à préserver le prestige de l'Etat et personne ne se met dans la tête qu'il est le pigeon qui va payer le prix du paquet de cigarettes au prix fort imposé par les spéculateurs. D'autre part, concernant les cigarettes de contrebande, personne ne pense à se cacher et ces produits se vendent au su et au vu de tout le monde, sans qu'aucune action n'ait été entreprise pour stopper ce flux qui est parfois néfaste pour la santé des gens. Des produits de contrebande en plein jour Pour ce qui est de la contrebande, tout se fait au su et au vu de tout le monde et les contrebandiers se sont bâti des royaumes, sans que personne ne bouge le petit doigt pour les arrêter. Les produits de contrebande ont envahi tout le pays, surtout les chinois, que ce soit des jouets, des feux d'artifices, des outils ou des produits cosmétiques et tout se vend sur les étalages anarchiques et même dans les boutiques et, parfois, dans certains magasins qui, en principe, doivent être gérés de la manière la plus légale. Pourtant, tout le monde sait que la contrebande et le terrorisme sont les deux faces d'une même pièce et que l'argent de la contrebande sert à financer le terrorisme, que ce soit en Libye ou en Tunisie. La nonchalance et le laisser-aller des uns et les complaisances des autres nous ont conduit là où nous sommes, actuellement, et obligent les Tunisiens à se mobiliser, tous ensemble, pour faire face à ces fléaux qui gangrènent le pays et son économie. Le constat est alarmant et le marché parallèle représente, aujourd'hui, environ 54 % de l'économie tunisienne. On nous rabat ces informations aux oreilles, chaque jour, sans que rien ne soit fait pour mettre fin à ce fléau néfaste, parce que beaucoup d'intérêts sont en jeu et ce sont les capitaux douteux qui font la loi. Les fonctions libérales et la fiscalité Les dérapages ne s'arrêtent pas à ce stade si on se réfère aux résultats obtenus au niveau de la fiscalité, des impôts et des cotisations sociales dans les professions libérales et le secteur privé. Dans ce domaine, c'est la loi du plus fort et, surtout, celle des corporations qui s'impose. Combien de médecins, pharmaciens, avocats, conseillers fiscaux et autres font-ils des déclarations d'impôt claires et honnêtes ? Dans toutes ces fonctions libérales, rares sont les professionnels qui payent exactement leur dû à l'Etat et, bien que ces déclarations ( si elles étaient faites) doivent faire honte à leurs auteurs, il est malheureux de constater qu'on puisse les accepter sans réaction de la part des autorités concernées. Lorsque, sous le régime de l'ex-président Ben Ali, les services fiscaux ont pensé à instaurer le système de factures pour des fonctions libérales, les professionnels de ce secteur avaient fait un tollé inimaginable. Pourtant, le contrôle des richesses est bien facile. Il suffit de demander l'origine de l'argent gagné, lors de l'achat d'un bien immobilier coûteux, d'une voiture de luxe ou d'un yacht, pour comprendre que ces personnes se remplissent les poches, sans daigner payer leurs redevances à l'Etat et aider au progrès de ce pays. Actuellement, au moment où les Tunisiens pensent qu'ils vivent une ère de démocratie et de droits de l'Homme, n'est-il pas temps que chacun mette la main à la pâte pour faire de la Tunisie un pays moderne ? Les syndicats dans la tourmente Hélas, cela ne semble pas être l'avis de tout le monde, parce que la gabegie offre l'opportunité à certaines catégories pour outrepasser la loi, comme c'est le cas pour des organisations qui avaient, dans le passé, le monopole dans le domaine, mais qui se voient, aujourd'hui, dans l'obligation de faire face à la concurrence, offrant la possibilité à certains opportunistes d'imposer leur loi, sans aucune vergogne. A titre d'exemple, il est possible de citer, ici, les cas de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) et de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA). L'UGTT qui a, toujours, dominé la scène syndicale tunisienne se voit, actuellement, dans l'obligation de suivre certains dirigeants de ses bases, même au risque d'ébranler la stabilité du pays, sous peine de voir ses affiliés, dans le cas contraire, fuir l'organisation et adhérer à d'autres syndicats qui ont vu le jour après la révolution, comme l'Union tunisienne du travail (UTT) ou la Confédération générale des travailleurs tunisiens (CGTT), entre autres. C'est le cas, aussi, pour l'UTICA avec ses adhérents et l'organisation patronale est obligée de composer et de faire des concessions, afin d'éviter qu'ils la quittent pour la CONECT. Tout cela explique la période opaque par laquelle passe la Tunisie. Mais, est-on obligés, vraiment, à suivre un rythme qui ne peut que nous faire du mal à l'avenir. Tout le monde doit comprendre que les lois que nous avons choisies ou, du moins, acceptées doivent être au-dessus de toutes autres considérations et qu'elles doivent être respectées, parce qu'elles représentent un pacte social qui doit mener la Tunisie au développement, à l'essor et au bien-être. Chacun doit donc y mettre du sien, pour que la Tunisie soit un pays où il fera bon vivre, sinon c'est le chaos et le règne de la gabégie, de l'argent sale et du profitarisme.