Le secteur de la télécommunication en Tunisie est l'un des secteurs qui connait la plus grande évolution depuis des années, grâce à l'adhésion de la Tunisie à l'économie du savoir, à la capacité d'innovation dans le secteur et surtout suite à l'introduction de la concurrence. Une concurrence dont le principal bénéficiaire était sans doute le consommateur, surtout au niveau de la téléphonie mobile. Avoir une ligne mobile nécessitait jadis des mois d'attente et parfois une intervention, aujourd'hui c'est une question de quelques minutes, et on a l'embarras du choix. Les deux opérateurs du marché multiplient aujourd'hui les promotions et les coups publicitaires au point de rendre perplexe le consommateur. Mais depuis quelques années, une véritable « guerre » marketing est déclenchée entre les deux opérateurs, et chacun se veut et s'auto déclare, le premier du marché. Dans cette bataille, quel rôle pour l'instance de régulation du secteur à savoir l'Instance Nationale des Télécommunications ?
Qui est le premier ? Les publicités des deux opérateurs, Tunisie Telecom et Tunisiana ; sont très variées, et annoncent parfois le mot « premier ». L'un est premier opérateur en terme de qualité du réseau, l'autre premier au niveau du nombre des abonnées, parfois premier au niveau de la facturation à la seconde, ….Les parts de marché de chaque opérateur, sont très proches au point qu'ils peuvent changer d'un jour à l'autre. Selon les chiffres du Ministère de technologies de la communication, la Tunisie compte aujourd'hui 9.2 millions d'abonnés au réseau mobile. L'opérateur historique Tunisie telecom, qui fête ses 7 millions d'abonnés (fixe et mobile), compte aujourd'hui, selon des chiffres non officiels quelques 5.75 millions d'abonnés au réseau mobile, et une part de marché dépassant les 50%, ce qui le place leader sur le marché. De son côté Tunisiana, a annoncé à la fin du mois de Septembre dernier avoir 4,8 millions d'abonnés, détenant ainsi 53% de parts de marché contre 50,8% un an plus tôt. Selon ces données, et avec une opération de soustraction, il ne restait pour Tunisie Telecom que 4.4 millions d'abonnés, des 9.2 millions annoncés. Sur un autre plan, on se rappelle de la polémique qu'a soulevé l'annonce de l'opérateur Tunisiana d'être le meilleur opérateur en terme de qualité de réseau, se basant sur un rapport de l'INT. Tunisie Telecom a tout de suite répliqué, relativisant les chiffres de l'INT, et annonçant qu'elle respecte la concurrence qui se respecte. Une « guerre » publicitaire et à coup de conférences de presse et de communiqués. Dan cette guerre, quel rôle peut jouer l'Instance Nationale des Télécommunications ?
Quel rôle pour l'INT ? Pour mémoire, l'Instance Nationale des Télécommunications est un organisme spécialisé, crée par l'article 63 de la loi n°2001-1 du 15 janvier 2001, portant promulgation du code des télécommunications, Il a pour missions de participer , « à coté du Ministère des Technologies de la Communication, au développement du secteur des télécommunications en fournissant l'environnement nécessaire à l'instauration d'une concurrence saine et loyale entre les intervenants et veille, en tant qu'instance d'arbitrage, à l'introduction des garanties nécessaires au renforcement d'une concurrence loyale pour l'établissement et l'exploitation de réseaux de télécommunications, la fourniture de services de télécommunications et la protection des intérêts des différents intervenants dans le secteur. » Il a entre autres missions : une mission d'examen et résolution des litiges relatifs à l'interconnexion Assurer le respect par les opérateurs de télécommunications de leurs obligations et engagements résultant de l'application des dispositions législatives et réglementaires afférentes au code des télécommunications les concernant, Prendre une ou plusieurs des mesures prévues par l'article74 du code des télécommunications pour mettre fin aux infractions constatées aux dispositions du code des télécommunications et de ses textes d'application. Outre ces missions à caractère juridique, économique et technique, d'autres attributions importantes méritent d'être relevées, telles que l'approbation des offres techniques et tarifaires des services d'interconnexion et des modèles de contrats proposés par les opérateurs au public, l'examen de projets de modifications tarifaires et la possibilité d'y apporter des changements, si nécessaire,… Outre son pouvoir décisionnel dans le secteur, l'instance a un pouvoir d'investigation et d'enquête, et aussi un pouvoir de sanction. Dans cette bataille commerciale l'INT a un rôle important à jouer à travers son pouvoir d'investigation et surtout d'approbation des offres promotionnelles qui doivent être présentés à cette instance. L'INT publie aussi un rapport annuel qui fait plusieurs comparaisons entre les deux opérateurs, et qui couvrent : Evolution des taux de défaut de couverture par localisation Taux de défaut de couverture dans les zones urbaines Taux de défaut de couverture dans les axes routiers Evolution des taux d'accessibilité par localisation Taux d'accessibilité dans les axes routiers Evolution des taux de défaut de couverture par localisation Taux de défaut de couverture dans les zones urbaines
Cette analyse détaillée de la qualité des services des deux opérateurs permet de trancher la polémique autour du titre du « meilleur opérateur national ». Ce rapport, qui est aujourd'hui annuel, doit avoir une périodicité moins longue, et devenir trimestriel pour informer le consommateur périodiquement sur les services des opérateurs. Un autre volet doit être introduit dans le rapport, à savoir la comparaison des prix de chaque opérateur. Un élément très important pour le consommateur qui peut orienter son choix, et surtout pousser les opérateurs à entrer réellement dans une course de baisse des prix. Le rapport de l'INT reste aussi muet sur la qualité des services de chaque opérateur, et se limite à évaluer le service mobile en sa globalité. On y trouve une évaluation de la qualité de service Voix, la qualité de service SMS, la qualité de service MMS, mais sans distinction entre les opérateurs. Est-ce une stratégie de ne fâcher personne, ou un manque de moyens techniques ?
Le conseil de la concurrence a aussi un rôle important à jouer pour trancher les litiges et surtout assurer un environnement d'une concurrence pure et parfaite entre les opérateurs. Sur ce sujet, un véritable sujet de discussion s'est installé ces derniers jours entre l'INT et le conseil de concurrence autour de la compétence de chaque structure dans le secteur. En effet, l'INT est garante de la concurrence dans les télécommunications et émet des décisions sur le sujet qui sont obligeantes pour les opérateurs. Mais dans le cas ou, un des opérateurs décide de s'adresser au conseil de la concurrence, et que ce dernier prend une décision contraire à celle de l'INT, laquelle doit primer dans cette situation ? Un sujet qui mérite une analyse juridique approfondie et pourquoi pas une intervention du législateur, pour déterminer les limites de compétence de chacun.
Et le consommateur ? Dans cette guerre des premiers, le consommateur ne sait pas à quel saint se vouer. Il continue à payer cher la minute de communication malgré les offres ponctuelles, de part et d'autre. Faut-il introduire un 3ème opérateur mobile sur le marché pour voir un jour le coût de nos communications baisser ? En tout cas plusieurs instances internationales ont évalué que le marché tunisien peut supporter plus que deux opérateurs. De son côté, l'Organisation de Défense du Consommateur, n'a pas joué jusqu'à présent sa mission dans ce secteur, et se limite à d'autres domaines (habillement, alimentation, électroménager…). Or les dépenses du consommateur tunisien dans les télécommunications ne cessent d'augmenter et représenter une part importante de son budget. Cette organisation est appelée à s'introduire dans les débats et garantir la protection pour le consommateur dans ce secteur. L'entrée en activité du nouvel opérateur annoncée pour le mois de février prochain, permettra d'introduire plus de concurrence dans le secteur de la téléphonie fixe. Verrons-nous encore une fois une autre « bataille des premiers » entre les deux opérateurs du fixe. Wait and see.