découvertes en janvier 2008, celles-ci résultant de ses prises de positions sur des contrats à terme sur indices s'élevant à cette époque à environ 50 milliards d'euros. Le trader est payé pour acheter et vendre et le seul fait qu'il ait perdu même des sommes importantes ne le désigne pas comme coupable. Si on impute à Jérôme Kerviel la responsabilité de la totalité des pertes enregistrées à l'issue de la liquidation de ses positions, celle-ci serait la perte la plus élevée à ce jour qui ait été causée par les erreurs d'appréciation d'un trader, employé d'un établissement financier. L'occasion est idoine pour s'arrêter sur cette face cachée des banques. Le courtage pour compte propre, activité spéculative des banques, est au cœur de l'affaire Kerviel et est immanquablement dans le box des accusés lors du procès de l'ex-courtier de la Société générale. Méconnue du grand public et pratiquée dans le plus grand secret, cette activité, appelée prop trading [proprietary trading] dans le jargon financier anglo-saxon, est capitale pour les banques. Elle leur procure en effet une grande partie de leurs revenus et de leurs bénéfices mais reste difficile à évaluer, selon les experts financiers. Cette activité consiste pour une banque à prendre des positions sur les différents marchés financiers — actions, taux, devises ou marchés dérivés — pour elle-même et non pas pour le compte de ses clients. «Pour faire simple, le prop trading c'est un hedge fund [fonds spéculatif] à l'intérieur d'un établissement bancaire», explique Christophe Nijdam, analyste financier chez AlphaValue. «Il y a une certaine omerta [...] car dans le contexte politique actuel d'un renforcement de la régulation bancaire, les banques refusent de communiquer sur ce sujet car elles redoutent de se faire à nouveau rappeler à l'ordre», poursuit cet ancien directeur général d'une succursale de banque française aux Etats-Unis. «L'omerta vient surtout des banques françaises car dans la conjoncture actuelle, les traders sont montrés du doigt», souligne Thami Kabbaj, professeur de finances à l'université Paris-Dauphine et ex-courtier lui-même. «Aux Etats-Unis, les banques en parlaient plus ouvertement jusqu'à la crise actuelle.» Jérôme Kerviel, dont le procès s'est ouvert il y a quelques jours devant le tribunal correctionnel de Paris, réalisait pour le compte de la Société générale des opérations d'arbitrage en prenant des positions sur des contrats à terme sur des indices boursiers européens. Avant d'être débouclées dans l'urgence par la Socgen et de se solder par une perte de 4,9 milliards d'euros, les positions de Jérôme Kerviel étaient montées jusqu'à près de 50 milliards d'euros, engageant la banque au-delà de ses fonds propres, d'environ 30 milliards d'euros à l'époque. «Quand tout va bien, le trading pour compte propre booste la rentabilité des banques, donc les cours de Bourse des banques et par la même occasion les options d'achat d'actions de certains de leurs dirigeants», remarque Christophe Nijdam. «Quand ça va mal, on ne parle plus de privatisation des profits. Il faut alors sauver les banques et on assiste à une socialisation des pertes.» La crise financière a ainsi fait prendre conscience aux responsables politiques et aux régulateurs des dangers que ces activités pour compte propre faisaient peser sur la stabilité du système financier. Au point qu'aux Etats-Unis, Paul Volcker, conseil économique de la Maison-Blanche et ancien président de la Réserve fédérale, plaide pour une limitation de ces activités. «Lorsque les règles Volcker ont été annoncées, plusieurs institutions financières ont affirmé que ces activités ne représentaient que 5 % à 10 % de leurs résultats», rappelle Christophe Nijdam. «Dans les faits, c'est plus important mais difficile à chiffrer car les banques ne communiquent pas. [...] C'est probablement le double.» La Société Générale, par exemple, assure que le courtage pour compte propre ne représente désormais qu'environ 3 % de ses revenus. «Si le trading pour compte propre n'est que marginal dans leurs activités, pourquoi les banques mènent-elles autant de lobbying contre les règles Volcker?», s'interroge l'analyste d'AlphaValue. «C'est un peu paradoxal.» Christophe Nijdam dénonce surtout l'idée selon laquelle ce courtage n'engagerait pas la banque au-delà de ses capitaux, un argument démenti par l'affaire Kerviel elle-même. «Dans la réalité, la taille des portefeuilles de trading représente plusieurs fois, voire dix ou quinze fois les fonds propres», tient-il à souligner. «Cela veut dire que les autres strates de financement de la banque sont en risque, dont notamment les dépôts de la clientèle car l'argent est fongible.» «Pour que ça change, il faudrait imposer aux banques des limites d'engagements en fonction des niveaux de fonds propres», plaide de son côté Philippe Poincloux, directeur général du cabinet de conseil Towers Watson.