Pour une assemblée nationale constituante, tel est le thème du forum organisé le mercredi 23 février 2011 par la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Un forum qui a voulu s'inscrire dans le cadre de « la recherche-action ». Le Professeur Rachida Neifer, avec les autres panélistes lors du forum
La séance d'ouverture a été présidée par le Professeur Fadhel Moussa, doyen de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, qui a mis l'accent sur la nécessité actuelle de la mise en place d'une nouvelle constitution et d'élire, à cette fin, une assemblée constituante. Sur la nécessité d'une assemblée nationale constituante aujourd'hui, se sont prononcés les professeurs, de la dite Faculté, M.Hichem Moussa et M.KaÏs SaÏd. Le Pr. Hichem Moussa a abordé la question du pourquoi de cette nécessité, alors que le Pr. KaÏs SaÏd en a apporté une réponse sous forme d'une feuille de route. Le forum a été enrichi par l'intervention des représentants de la société civile ainsi que par la participation des étudiants de la Faculté. Afin de contribuer et de participer activement dans l'œuvre du changement qui a été imposée par l'actualité tunisienne, il est à noter l'existence, à cette fin, de plusieurs initiatives, que ce soit de la part des étudiants que de la part des enseignants .A titre d'exemple, le programme d'enseignement de la loi constitutionnelle a été remanié. Aussi, au cours de cette semaine il va y avoir une élection d'une « assemblée nationale constituante », de la part des étudiants, pour mettre en place un projet d'une nouvelle constitution. Sur le sujet des lacunes adressées à l'actuelle constitution et les solutions qu'on pourrait lui apporter, nous avons interviewé Mme Rachida Neifer, Professeur à la dite Faculté.
Les lacunes relevées à l'actuelle constitution
Deux catégories de problème se posent. Ceux relatifs au contenu même de la constitution du 1er juin 1959 et ceux relatifs à l'impasse dans laquelle nous nous sommes trouvés après la chute du régime de Ben Ali. Le 14 janvier, lorsque Ben Ali a quitté la Tunisie nous nous sommes trouvés dans une impasse constitutionnelle. Elle consistait dans le fait que la solution adoptée par la constitution de 1959, concernant la passation de pouvoir, était une solution taillée sur mesure pour le président Ben Ali à savoir que le régime n'a jamais envisagé l'alternance au pouvoir et si jamais vacance, il y avait, cette vacance devait se résoudre au sein du parti en place et plus particulièrement au sein de la famille régnante. C'était la seule hypothèse envisagée et donc bien sûr à ce moment c'était très facile en l'espace de deux mois d'après l'article 57 qui prévoit que nous devons élire un nouveau président de la république dans un délai minimum de 45 jours et un maximum de 60 jours, et donc ce sont des délais qui sont taillés sur mesure, pour que le successeur marche dans le sillage de l'ancien président. Etant donné que la vacance du pouvoir n'était pas survenu à l'issue d'un désistement, ce qui n'est pas le cas, ou même d'une vacance totale, nous nous sommes trouvés dans un autre scénario. Il y a révolution et qui dit révolution dit finalement changement de régime. Le changement du régime veut dire qu'il faut mettre en place de nouvelles institutions ce qui ne peut se faire dans un espace aussi court. Le résultat est que si on n'élit pas un nouveau président de la république le 14 mars prochain, nous nous trouvons dans une illégalité et le gouvernement en place devient illégal. Déjà sa légitimité est contestée, mais aussi il va devenir illégal par rapport à la constitution actuelle. Le gouvernement actuel est attaché à la constitution et donc nous sommes dans une impasse constitutionnelle.
Comment sortir de cette impasse? Il y a deux voies. Soit organiser des élections d'ici le 14 mars ce qui me paraît impossible. Soit suspendre la constitution et rentrer dans une nouvelle ère constitutionnelle. Dans l'impasse constitutionnelle, on n'a plus de choix. Le gouvernement actuel provisoire est présidé par un président par intérim qui n'a pas été élu directement par les membres de la chambre des députés, laquelle chambre des députés est remise en cause. Concernant ce premier niveau, on ne résoudra le problème qu'en recourant à l'élection d'une assemblée nationale constituante et l'élaboration d'une nouvelle constitution. Entretemps, ce qu'en fait, il va falloir que le président par intérim édicte un décret qui organise les pouvoirs publics de manière provisoire. Ça s'appelle une organisation provisoire des pouvoirs publics. Cela a été déjà fait en 1957 lorsque la république a été proclamée. La monarchie a été abolie, on n'avait plus aussi de pouvoir politique. Ce qui, a été fait, l'assemblée constituante a émis cette solution. Concernant le contenu même de la constitution, c'est un contenu qui a été taillé sur mesure sur plusieurs périodes et à chaque période on a essayé de faire des changements qui soient, la mesure, toujours, du chef du pouvoir. Si on regarde cette constitution, à part l'impasse constitutionnelle dans laquelle elle nous a mis pour ce qui est de la vacance au pouvoir, on garde maintenant l'organisation du pouvoir. On va voir que de toute façon le chef de l'exécutif, à savoir le président de la république, au fil des révisions, a pris tous les pouvoirs entre ses mains. Non seulement, il est le chef de l'exécutif et le chef indéniable de tout l'exécutif (par exemple: le premier ministre n'est pas un premier ministre, c'est un ministre). Il a tout le pouvoir de l'exécutif, mais aussi il a la primauté concernant l'édiction des lois. C'est lui qui prend l'initiative des lois. Et si vous revenez dans le temps, vous allez voir que la majorité si ce n'est pas tous les projets de lois ont été présentés par le président de la république. Il a aussi la mainmise du contrôle de constitutionnalité des lois puisque le conseil constitutionnel est un organe qui dépend finalement de lui. Il est le président du conseil supérieur de la magistrature, il est chef de l'armée, il a l'initiative en matière de révision de la constitution. Concernant le fonctionnement du pouvoir législatif, vous savez que depuis 2002, nous avons deux assemblées et donc, normalement, la loi doit passer par les deux assemblées. Donc il faut que la loi soit adoptée aussi bien par la chambre des députés que par la chambre des représentants. Et donc pour que, finalement, elle devienne une loi. S'il y a conflit entre les deux chambres, c'est le président de la république qui doit trancher le conflit. Il appartient au président de la république d'arbitrer le conflit entre les deux chambres en nommant une commission composée de députés et de représentants pour, finalement, essayer de trouver une solution. Personnellement, je pense qu'après 53 ans d'un régime présidentiel avec prédominance du président de la république, maintenant, nous savons ce que nous ne voulons pas. Nous ne voulons pas, d'un président de la république qui prend à lui seul tous les pouvoirs et sans aucun contrôle possible (ni de la part de la magistrature, ni de la part du conseil constitutionnel, ni de la part du pouvoir législatif). Ça c'est un danger. Et le danger nous l'avons couru plusieurs fois parce qu'il y a une négation totale de la démocratie dans ce cas là. Qu'est-ce qui reste de la constitution alors? Ce qui reste, c'est le régime républicain. Et je pense, qu'actuellement, le régime républicain fait l'unanimité de tout le peuple. Il reste la souveraineté du peuple qui est liée au régime républicain qui fait l'unanimité de tout le peuple et il reste les droits de l'Homme et du citoyen qui fait l'unanimité de tout le peuple. Est-ce qu'en va laisser cette constitution et la révision en gardant ses principes immuables à savoir le régime publicain? A ce niveau-là, de toute façon, on aura gagné ces principes fondamentaux, mais il va falloir revoir toute la constitution, tout le reste, où alors on va opter pour une nouvelle constitution en reprenant dans la nouvelle constitution ses principes immuables. Et cela s'est déjà fait dans beaucoup de pays du monde, où on met en place une nouvelle constitution en reprenant dans le préambule de la nouvelle constitution les acquis fondamentaux qui figurent dans l'ancienne constitution et je vous ai dit c'est le régime républicain, c'est la souveraineté du peuple, ce sont les droits de l'Homme, mais aussi, moi je dirais, il va falloir, dans cette nouvelle constitution inclure comme principe immuable l'égalité entre les hommes et les femmes. Nous avons le code du statut personnel et je pense qu'il devrait figurer parmi ce qu'on peut considérer comme un bloc de constitutionnalité. L'expérience constitutionnelle de beaucoup de pays a consacré le bloc de constitutionnalité. Qu'est-ce que c'est un bloc de constitutionnalité? Le bloc de constitutionnalité c'est qu'il y a un certain nombre de principes immuables sur lesquels tout le peuple est d'accord. Je pense, qu'aujourd'hui, tous les mouvements politiques l'ont dit. Tout le monde est d'accord sur le régime républicain. Tout le monde est d'accord sur les droits de l'Homme et tout le monde est d'accord sur l'égalité entre hommes et femmes. Donc, si tout le monde est d'accord, aujourd'hui, qu'on le consigne dans une nouvelle constitution et c'est à partir de là que va naître la deuxième république ou peut-être la république tout court.