A la suite de la "Révolution du 14 janvier" et de la survenance d'une vacance de la Présidence de la République dans les conditions que l'on sait, la question se pose de savoir comment combler cette vacance et réformer les institutions de l'Etat dans le sens de la démocratisation du système politique tunisien. Doit-on considérer que la ‘Révolution du jasmin' a invalidé la constitution de 1959 et délégitimé les institutions gouvernantes actuelles ? – Doit-on au contraire, considérer la constitution actuelle comme étant toujours en vigueur et que c'est dans le cadre de son article 57 que le problème particulier de la vacance de la Présidence doit être résolu ? - Concernant le délai prévu par cet article – 45 à 60 jours, au plus – assigné à l'accomplissement de la mission du Président ‘intérimaire', doit-on considérer que ‘les circonstances exceptionnelles' par lesquelles passe notre pays, autoriseront une extension de ce délai jusqu'à 6 à 12 mois, même si cela constituait une violation du dit article 57 ou, doit-on penser à l'application de l'article 39, al. 2 de la constitution qui permet une extension du mandat présidentiel en cas de survenance de ‘péril imminent'? Ces diverses approches donneront lieu à des controverses certes intéressantes mais inutiles, à nos yeux. Au surplus, elles ont en commun qu'elles ont leurs points faibles et qu'aucune d'elles n'emporte réellement la conviction. A notre avis, la solution du problème doit partir des données fondamentales de la crise et des objectifs de la réforme politique à entreprendre. Ramené au plus simple, le problème peut être formulé en deux points : comment sortir de la crise ? – comment, surtout, instaurer en Tunisie un régime authentiquement démocratique et répondant sincèrement aux vœux du peuple tunisien ? Pour répondre à ces deux questions, nous partirons du constat suivant : à ce jour, le peuple tunisien n'a été consulté ni sur le premier problème ni sur le second. Il faut donc, lui en donner l'opportunité. Ensuite, on notera que pour véhiculer sa volonté souveraine, le peuple tunisien récuse les institutions actuelles, qui ont perdu toute légitimité à ses yeux. Il faut donc, lui donner la possibilité de désigner de nouveaux représentants, élus démocratiquement. En somme, il faut trouver une solution à cette contradiction évidente entre la présence d'Assemblées qui ont la ‘légalité' mais qui n'ont plus la ‘légitimité', et une ‘Révolution' nationale qui incarne la ‘légitimité' plénière mais qui n'a pas eu encore le temps de s'exprimer dans une ‘légalité' formelle. A notre avis, le passage à une Législature légitime et démocratique ne peut être assuré que par l'élection d'un nouveau Pouvoir législatif démocratique qui remplacera les assemblées actuelles. – Comment y arriver ? – Nous proposons le processus suivant: *- Première étape : Adoption par les Assemblées actuelles d'un projet de loi portant révision de la loi électorale en vue de l'élection d'une nouvelle Chambre des députés sur la base de la ‘Proportionnelle'. L'adoption de ce texte pourrait se faire dans un délai ne dépassant pas un mois seulement. **- Deuxième étape : Les deux Assemblées en place ou, selon le cas, les membres de ces dernières, individuellement pris, voteront une motion d'autodissolution immédiate ou signeront des lettres démission de leurs mandats, aboutissant au même résultat. Il y a lieu de préciser que ces deux initiatives ne violent aucune des dispositions de la constitution actuelle. En effet, s'il est vrai que celle-ci interdit au Président ‘intérimaire' de dissoudre les Assemblées législatives, elle n'interdit nullement le départ collectif ou concerté des membres de ces dernières. La nouvelle Chambre des députés aura une triple mission : a- exercer la fonction législative ordinaire, b- après avoir suspendu la constitution actuelle, voter une loi constitutionnelle d'organisation provisoire des Pouvoirs publics et élire un Président de la République ‘intérimaire' pour une période se terminant le jour de la mise en place des nouvelles institutions constitutionnelles et, c- élaborer un nouveau projet de constitution, qui devra pouvoir être soumis au référendum dans un délai raisonnabl.. ***- Troisième étape : Dès son installation, la nouvelle Chambre des députés procèdera à l'élection d'un Président de la République ‘intérimaire'. Le Gouvernement actuel aura à remettre sa démission. A l'instar de ce qui s'est passé après l'indépendance du pays, un nouveau Gouvernement provisoire sera désigné par l'Assemblée constituante/législative en vue de l'expédition des affaires courantes et, il sera soumis à son contrôle. Il y a lieu de préciser que le mandat de la Chambre des députés, le mandat du Président de la République ‘intérimaire', et aussi le mandat du Gouvernement provisoire, seront impérativement limités dans le temps . Selon le calendrier du processus que nous proposons ici, la mise en place des nouvelles institutions de l'Etat conformément aux vœux du peuple tunisien et aux principes de la démocratie, pourra se réaliser dans un délai ne dépassant pas approximativement les six mois à compter du démarrage de la première étape du processus. Elle contribuera à garantir la sécurité de la nation et à remettre en marche la vie économique, sociale et politique sur des bases solides. Ce processus aura encore le grand avantage de permettre à notre pays de mettre en place des institutions constitutionnelles jouissant pleinement de la légitimité populaire et d'instaurer une nouvelle ère d'unité nationale et de stabilité politique qui sont indispensables pour permettre à la Tunisie de faire face à un environnement régional et international marqué par des transformations aussi préoccupantes qu'imprévisibles. Sadok BELAID et Habib AYADI Professeurs émérites à la Faculté des sciences juridiques de Tunis.