Au-delà de la pertinence ou non des raisons invoquées, la décision du syndicat national des forces de sécurité intérieure de ne pas assurer la sécurité lors des spectacles donnés par des rappeurs ne tient pas debout. Apparemment, les policiers ont la rancune tout aussi têtue que vorace. Même la condamnation de « Weld 15″, quoique revue à la baisse en appel, n'a pas assouvi leur désir de revanche. Ce rappeur a reçu, en pleine tronche, une avalanche de bois vert pour le texte au vitriol, pratiquement de caniveaux, qu'il a chanté. Mais l'idée de punir tous les rappeurs par la faute (si faute il y a) d'un seul est d'abord une forme de discrimination, une généralisation injustifiable et ensuite, un acte de franc mépris à l'égard des institutions de l'Etat. Protéger le citoyen tunisien, entre autres tâches, quel qu'en soient la conviction et la catégorie sociale, est au premier rang de la fonction des forces de l'ordre, outre qu'il est question là d'un devoir professionnel et national. Manquer à ce devoir, pour n'importe quelle raison que ce soit, est une forme de démission, attaquable en justice. Il y a pas de sécurité sur commande ou à la tête du client. Il s'agit d'un service public, par définition neutre et général, dont tous les tunisiens sont, par conséquent, en droit de profiter, sans exception ni exclusion. Comme le droit, le devoir n'est ni divisible ni conditionné d'autant plus que la question porte sur le service public. Le précédent est grave et donne le mauvais exemple. Si demain, un foutu rappeur égratigne le corps médical, on devrait donc s'attendre à ce que médecins et infirmiers refusent tout soin à quelconque rappeur. On pourrait multiplier l'exemple jusqu'à l'infini. Ce qui est inconcevable et irrecevable à plus d'un titre. Il est temps d'éviter les amalgames, d'empêcher la dérive et de se garder d'utiliser le levier professionnel comme moyen de riposte ou de sanction. Rien donc ne justifie la décision du syndicat national des forces de sécurité intérieure. Après les exactions des salafistes et des soi-disant LPR et leurs interventions musclées pour annuler ou interrompre un spectacle, si maintenant les forces de l'ordre leur emboîtent le pas et mettent leur grain de sel, la notion même de sécurité partira certainement en vrille, sans compter que la liberté d'expression risque de battre affreusement de l'aile.