Au lendemain d'une réunion houleuse des ministres de l'Intérieur européens, à Bruxelles, au cours de laquelle l'Italie s'est retrouvée totalement isolée sur la question des clandestins tunisiens, le ton s'est échauffé à Rome. Tout est parti d'une petite phrase, lundi, du monsieur sécurité du gouvernement italien, Roberto Maroni. “On nous laisse seuls pour faire ce que nous devons faire et que nous continuerons à faire. Je me demande si faire partie de cette Europe a encore un sens”, a lâché le ministre estampillé Ligue du Nord, parti anti-immigrés allié à la coalition de Silvio Berlusconi. L'UE venait, en effet, d'accueillir plutôt froidement l'initiative italienne d'accorder 25 000 permis de séjour temporaires aux Tunisiens arrivés sur l'île de Lampedusa depuis le début de l'année, ce qui, aux yeux de Rome, aurait été suffisant pour les laisser circuler librement dans la zone Schengen. “Pour pouvoir circuler à travers l'Union européenne, il faut un passeport !” a rappelé la commissaire chargée de l'immigration, Cecilia Malmström. “Le message, c'est chère Italie, débrouille-toi toute seule. Eh bien mieux vaut être seul que mal accompagné”, lui a répondu Maroni, avant de claquer la porte du Conseil européen. De retour en Italie, le ministre de l'Intérieur reçoit le soutien de son collègue de la Ligue du Nord, Roberto Calderoli, par ailleurs vice-président du Sénat et ministre à la Simplification législative. “Pensons à notre maison avant qu'elle ne devienne celle des autres”, lance celui qui n'a jamais caché ses velléités anti-musulmanes, avant de ne proposer rien de moins qu'un “blocus naval absolu pour défendre les eaux et les frontières italiennes”. La réplique du Parti démocrate, opposition de gauche, ne se fait pas attendre. “Je ne sais pas si l'Italie doit sortir de l'Europe, mais il est évident que la Ligue a perdu la tête”, lance Anna Finocchiaro, présidente du groupe PD au Sénat. Mais même hors de la Ligue, les membres de la majorité ne digèrent pas l'attitude de Bruxelles. Ainsi le ministre de la Défense Ignazio La Russa, membre du Parti des libertés de Silvio Berlusconi, propose-t-il de retirer les troupes italiennes actuellement engagées au Liban et au Kosovo pour assurer la protection des côtes italiennes… “Sans l'Europe, l'Italie serait trop petite” (Frattini) Une tension extrême qui a poussé le président de la République italienne Giorgio Napolitano à sortir de son silence, chose rare. Le chef de l'Etat, sans grand pouvoir réel mais dont la parole est très écoutée, a déclaré lundi soir “ne même pas prendre en considération les positions de rétorsion, de dépit ou même d'hypothèses de séparation” de l'Italie et de l'Union européenne. Un tacle à peine dissimulé pour les ministres qui venaient de s'exprimer. Et pour Silvio Berlusconi. Car c'est bien le chef du gouvernement italien qui a, le premier, brandi la menace d'une sortie de l'Union européenne. “Que l'Europe nous aide ou il est mieux de se séparer”, a prévenu le Cavaliere lors de sa deuxième visite à Lampedusa, samedi 9 avril. Résultat, mardi matin, l'apaisement est venu du côté de la Farnesina, ministère italien des Affaires étrangères. “Sans l'Europe, l'Italie serait trop petite”, a rappelé Franco Frattini, en arrivant au Luxembourg. “Je suis un Européen convaincu, et on ne doit pas plaisanter avec l'Europe”, a averti le chef de la diplomatie italienne, appelant ses compatriotes à avoir les “nerfs solides” à propos de l'Europe. Au bout du compte, c'est le ministre de la Justice Angelino Alfano qui a semblé clore les débats. “L'Europe est toujours née sur des processus de crise”, a-t-il rappelé, insistant : “Il n'y a pas eu une seule avancée qui n'ait pas connu des moments de crise.” Mais le garde des Sceaux est amer, et ne le cache pas. “Hier, c'est une sale page qui a été construite.”