L'appel à l'exécution, pure et simple, des homosexuels, lancé par un Imam de Sfax est avant tout un appel au meurtre et une incitation à la violence et à la haine. Un acte d'homophobie sans équivoque ni détour, passable de radiation sinon de pénalisation. Le Hadith auquel il se réfère pour justifier et sacraliser son appel n'est pas authentifié. La stricte application des lois de la Chariâa n'est pas à l'ordre du jour en Tunisie. Que cet Imam en réclame la mise en œuvre, c'est son droit à l'expression et c'est sa liberté d'opinion, garantis par la Constitution, mais non à la tribune d'une mosquée, dans son prêche de Vendredi, devant un parterre de fidèles dont d'aucuns, des esprits simples convaincus par l'appel, pourraient joindre l'acte à la parole et attenter à la vie des « coupables » désignés. Dans ce genre de discours, les homosexuels seraient pires que les terroristes, voués automatiquement à l'échafaud, à la peine capitale, à la lapidation ou à la défenestration. Ils ne seraient que des individus de seconde catégorie ou des sous-hommes. Leur vie n'a aucun poids et aucun sens. Pourtant, ils sont des citoyens, des contribuables, ils s'acquittent de leurs devoirs et obligations envers l'Etat, et à ce titre, ils ont le droit, comme quiconque, d'être traités comme des citoyens et non comme des malfrats ou des loques humaines. Leur sexualité n'est pas le problème de la société. Vouloir les en mettre au ban, les considérer comme engeance méprisable et indigne de considération, de droit et de vie tout court, c'est faire le lit de l'intolérance, de l'homophobie et de l'exclusion. Il y a lieu de rappeler que l'article 230 du Code Pénal tunisien condamne jusqu'à trois ans prison ferme la sodomie entre adultes consentants et de préciser également que la sodomie n'est pas une pratique exclusivement homosexuelle, elle est hétérosexuelle aussi. En prévoyant une telle peine, la loi ne pointe pas uniquement les homosexuels, elle criminalise une pratique et non l'identité sexuelle recherchée en propre. L'appel de cet Imam est de la même trempe que les propos au vitriol que l'acteur tunisien Ahmed Landolsi a tenus sur les ondes d'une chaine privée à l'égard des homosexuels, élevés selon lui dans les jupons des femmes et qualifiant l'homosexualité de » maladie ». En apprenti théoricien, il s'est permis le faste intellectuel de classer « Les homosexuels en trois catégories ». Il est allé même jusqu'à faire valoir la polygamie. Un plaidoyer particulièrement misogyne et injurieux. C'est d'abord une offense aux femmes, les mères surtout, comme si l'acteur en question n'est pas né des entrailles d'une femme, n'a pas été allaité par une femme et n'a pas grandi sous les yeux vigilants et les bras protecteurs d'une femme. De son avis, on dirait que la femme est le mauvais génie de l'homme. Comme disait Victor Hugo, mais dans une toute autre acception, « toutes les femmes sont des putes, sauf ma mère par respect« . Quant à la « maladie », le toubib en herbe doit savoir que la bêtise en est une et qu'elle est incurable. Venant d'un homme public, supposé représenter l'élite et la culture, ce type de propos montre que certains tunisiens, hommes soi-disant d'art, se croyant penseurs libres, et au lieu de vulgariser la culture, ils cultivent la vulgarité. La Tunisie est aussi malade de ses enfants. Il n'est pas anodin de dire que, paradoxalement, l'écrasante majorité des tunisiens partage secrètement l'opinion d'Ahmed Landolsi sur l'homosexualité. Depuis la nuit du temps, le débat sur l'homosexualité fait rage. Personne n'en a eu le dernier mot. Toutes les religions se sont cassé les dents, incapables de trouver remède à cette « maladie » car mal diagnostiquée. En effet, l'homosexualité a été toujours traitée derrière le prisme de la sexualité, toujours définie comme comportement sexuel, alors que d'autres dimensions entrent en ligne de compte comme les sentiments, les préférences, les valeurs, les convictions profondes et intimes, les besoins d'harmonie avec son identité sexuelle, les désirs refoulés dans l'inconscient, les quêtes de sécurité et de sociabilité. L'homosexualité n'est pas réductible à sa connotation sexuelle. Approchée sous l'angle de la sexualité, et comme la prostitution, l'homosexualité est aussi vieille que le monde, traversant les époques, les générations, les cultures et les religions sans que cette pratique, toujours dénoncée et considérée comme déviance contre-nature, n'en soit pour autant jugulée. Bien au contraire, le mouvement homosexuel, à travers le monde, est plus revendicatif, plus manifeste. Les associations prolifèrent pour défendre et protéger les homosexuels, qui s'affichent, s'assument et constituent, dans certains pays, une force électorale et politique de poids dont les candidats au scrutin tiennent compte. La population homosexuelle, grandissante en taille, est devenue aussi un enjeu électoral. En tout cas, homosexualité ou non, les notions de citoyenneté, de droit, de liberté et d'inviolabilité sont censées prévaloir sur toute autre considération qu'elle soit d'ordre social ou moral ou culturel. Etre homosexuel n'est ni un choix de vie ni une décision de libre arbitre. L'homosexualité n'est-elle pas finalement un héritage, le produit d'un concours de dimensions, de différentes échelles. Elle n'est pas une fatalité. On ne nait pas homosexuel, on le devient, en répondant à un besoin viscéral interne, en rompant avec une identité sexuelle acquise, en cherchant à vivre en phase avec soi-même. La pratique homosexuelle n'en est que l'expression la moins existentielle et la plus dissimulée. L'ordre social fait de l'homosexualité un tabou, un interdit, d'où la quête de l'anonymat et de la discrétion. Il ne s'agit pas là de faire l'apologie de l'homosexualité, loin s'en faut, mais juste de décliner le sujet derrière une autre grille de lecture et dans l'idéal de citoyenneté. Ne pas oublier qu'il y a une part de féminité dans chaque homme et une part de virilité dans chaque femme. L'importance de cette part varie selon les personnes, les contingences et les trajectoires de vie. Sigmund Freud, le père fondateur de la psychanalyse, n'a-t-il pas dit : « En plus d'une hétérosexualité manifeste, une quantité très importante d'homosexualité latente ou inconsciente peut être trouvée chez des gens normaux ». S'il avait à ausculter l'Imam de Sfax et Ahmed Landolsi et à explorer leur subconscient, il aurait certainement diagnostiqué un refoulement sexuel et un repli homophobe.