Une image a fait le tour du net. Une image parlante, assourdissante, même, tant elle en dit sur la réalité de la Tunisie. Une image gênante. Trop gênante, au point que les services de communication de la présidence du gouvernement aient décidé de la retirer, aussitôt publiée. Une image qui en dit long, à propos de tout, à commencer par le professionnalisme et le brio des responsables de la communication de Youssef Chahed. L'image est celle prise au cours du dernier déplacement de Youssef Chahed, le chef du gouvernement d'union nationale (On voit bien quelle union...), la semaine écoulée dans la région de Zaghouan. Cette image, nous la proposerions, sans un instant d'hésitation au prix Pulitzer, tant elle a figé, en un frémissement d'objectif, toute la réalité de la Tunisie à l'ère de la démocratie et de la révolution de la « dignité ». Une image qui en dit plus que ne pourraient jamais relater les milliers de documentaires qu'on pourrait imaginer pour traiter du sujet. Cette image a figé pour la postérité, dans un échange, ou plutôt une triangulation de regards, la réalité de l'état d'âme des tunisiens, chacun de son emplacement, dans cette Tunisie nouvelle. Cette image met en scène Youssef Chahed, le chef du gouvernement, qui était parti avec l'idée de réitérer les exploits de certains de ses prédécesseurs qui sillonnaient la Tunisie profonde à la rencontre des plus démunis, avec à la clef des programmes et des décisions, mais aussi, une réputation et une opération de marketing incontestables. Youssef Chahed, donc, sur cette image, dans un échange de regards avec un citoyen tunisien de la région. Youssef Chahed dont le regard immortalisé par l'objectif n'a rien de compassionnel. Un regard, au mieux d'incompréhension et distant, pour ne pas dire autre chose. Un regard qui souligne si besoin était l'énorme fossé qui sépare la classe dirigeante du pays et les citoyens avec leurs soucis quotidiens. En face de lui, se tient un pauvre citoyen tunisien, au regard clair et fier. Fier de ses sources berbères. Mais aussi, un regard franc et quelque peu inquisiteur. Un regard qui dévoile une pointe d'espoir, voilée par tant de désespoir et de misère. Un regard qui semble sonder celui du beau jeune homme qui se tenait devant lui, pour essayer de comprendre ou de saisir ce qui pouvait, réellement, l'unir à lui, comme il semble le prétendre. Mais finalement, un regard plein d'amertume, car revenant bredouille de sa quête du moindre espoir. Un regard qui dépeint l'angoisse et le désarroi de tous les tunisiens. Une angoisse de l'inconnu, et de ce qui les attend à chaque tournant de sa vie aussi vide que pénible. Mais, ce qui augmente du malaise de cette image, c'est sans aucun doute, le regard hautain et le sourire sournois et niais de celui qui se positionne entre les deux principaux protagonistes de la scène. Celui qui a posé pour l'éternité comme pour dire aux générations futures qu'il a été, là, à ce moment là, pour représenter une classe soi-disant politique, jeune, incompétente et ridicule au point de se permettre de ricaner des malheurs de ceux qui avaient voté, un jour pour qu'ils deviennent, eux, ce qu'ils ont cru devenir. Vive la Tunisie... Vive la révolution !