La situation était devenue critique pour Youssef Chahed, le jeune chef de gouvernement tunisien, notamment, après qu'il ait déclaré ouverte la chasse aux corrompus et aux contrebandiers qui saignaient l'économie du pays. Il faut croire qu'autant, cette guerre plaisait aux tunisiens et leur rendait un brin d'espoir, autant elle dérangeait tout le monde au niveau des hautes sphères de l'Etat. En effet, depuis sa première offensive lancée contre les corrompus et les mafieux, Chahed n'a rencontré que des mécontents, et des réprobateurs. Il a fini, à force de s'entêter dans la poursuite de sa guéguerre, par n'avoir plus que des ennemis au niveau des grands partis politiques. Il faut croire qu'ils avaient, peut-être, peur que cette opération au Karcher ne les éclabousse. Dans lequel cas, ils ne doivent, certainement, pas avoir la conscience tranquille, et auraient, probablement, des « choses » à vouloir cacher. Ainsi, et depuis le début de la campagne de Chahed, les critiques n'ont pas cessé de fuser de partout. Et essentiellement, des principaux partis de la coalition, Ennahdha et Nidaa. Il paraîtrait, même, que la présidence, elle non plus, n'est pas restée sans désapprouver cette opération, et y aurait ajouté son grain de sel, en exigeant, par exemple, l'arrestation de présumés corrompus, proches de Youssef Chahed, histoire de voir comment il allait réagir, et s'il allait chercher à protéger ses « amis ». Cette opposition de la part des grands partis a donné un sacré coup de frein à l'élan de Chahed qui a commencé à se sentir seul et sans aucun appui politique de taille. Il avait, certes, le soutien des plusieurs partis progressistes, de la société civile et de la population, en général, mais il commençait à craindre les coups tordus des « grands ». Des coups du genre de ceux assénés à son prédécesseur, Habib Essid. Mais comme, malgré tout, Youssef Chahed semblait déterminé à poursuivre son œuvre, ses détracteurs ont du sortir au grand jour, et monter au créneau pour l'attaquer de front. Et leurs actions ne peuvent pas ne pas avoir été coordonnées. Car le même jour, le directeur exécutif de son parti d'origine, Hafedh Caïed Essebsi, ose lancer une, soi-disant, initiative de sauvetage économique du pays, en proposant un dialogue national économique et social, avec des décisions à caractère obligatoire pour le chef du gouvernement. Histoire de lui lier les coudes et de lui dicter ce qu'il doit faire, entre autres, peut-être (et très probablement) en matière de lutte contre la corruption. Et le président de l'autre grand parti de la coalition Rached Ghannouchi, se met en scène en tenue de jeune premier, et lui intime de renoncer à toute ambition politique à 40 ans, mais surtout, d'arrêter de « mettre la main sur les biens des autres sans passer par la justice. Soit, en d'autres termes, de remettre les corrompus et les mafieux en liberté, de leur rendre leurs butins, et de passer par les juges de Bhiri, s'il veut confisquer quoi que ce soit, ou importuner qui que ce soit de ses « amis ». C'était, donc, apparemment, çà, le moteur de tout cet imbroglio ! La guerre contre la corruption. Et tel que c'était parti, hier en début de soirée, les carottes semblaient, on ne peut plus, cuites, pour le jeune Chahed. Or, ce qui s'est passé, juste après, était, à la limite, inespéré, pour lui. En effet, la superpuissante centrale syndicale, l'UGTT, par la bénédiction de laquelle, il fallait obligatoirement passer, à toutes les étapes de la vie politique en Tunisie, est montée au créneau. L'UGTT a dit « NON » ! Elle a dit non à Hafedh, par la bouche de son secrétaire général Noureddine Tabboubi qui refusé de cautionner son initiative de lancer un dialogue national, lui demandant de laisser le gouvernement faire son boulot. Et il a continué sur sa lancée, en disant « non » à Rached Ghannouchi par rapport à ses propos d'hier soir, concernant la privatisation des compagnies nationales. Et l'UGTT a dit « non » aussi, à Rached Ghannouchi, par la bouche de son secrétaire général adjoint, Sami Tahri qui a rejeté les intimidations de Ghannouchi envers Chahed en l'accusant de vouloir préparer un « coup d'Etat » contre le gouvernement. De coup, le damier politique se retrouve plus compliqué que jamais, et plus flou qu'il ne l'a jamais été, mais il demeure, quand même, assez équilibré, puisqu'avec l'UGTT derrière ses épaules, il faut avouer que Chahed a de quoi être réconforté.