TUNIS (TAP) - La lecture des programmes de réforme fiscale proposés par les principaux partis représentés au sein de la constituante, révèle qu' «aucun programme n'apporte de réponses concrètes aux questions de base de la réforme notamment le chiffrage, les marges de manœuvre budgétaires disponibles et l'impact attendu», telle est la conclusion de Moez El Elj, universitaire à l'ISG et chercheur au Laboratoire d'Economie et de gestion industrielle (Ecole polytechnique de Tunisie). L'universitaire a effectué une comparaison entre les programmes fiscaux adoptés par les partis politiques présents à l'assemblée nationale constituante (étude élaborée dans le cadre de l'initiative «IDEES», lancée par un cercle d'économistes tunisiens, dans l'objectif de réaliser un livre blanc proposant des réformes économiques et sociales). «Tout comme les responsables gouvernementaux, les partis politiques ont souvent tendance à prendre le moins de risques possible, en annonçant des principes très généraux et en ne s'engageant sur à peu près, rien», a-t-il souligné. M El Elj a expliqué que la Tunisie, pauvre en ressources naturelles, a besoin de «ressources fiscales durables pour assurer le fonctionnement de ses services publics et contribuer à la réussite du nouveau contrat social exigé par les forces de la révolution». Dès lors, il a insisté sur l'impératif d'engager une réforme de la législation fiscale, en veillant à éviter d'une part, «sa lourdeur et son effet néfaste aussi bien sur l'appareil de production que sur l'Etat» et d'autre part, le «nivellement fiscal par le bas, qui risque de priver l'Etat de ses ressources nécessaires pour mener le développement global et assurer la cohésion sociale. Il est vrai que trop d'impôt tue l'impôt, mais il n'en reste pas moins vrai, que peu d'impôt menace l'Etat et peut le tuer». Il est donc indispensable, selon lui, d'instituer une justice fiscale, réclamée par l'ensemble de la société. «La réforme fiscale ne peut être décidée entre experts au sein d'une commission ministérielle et doit être alimentée par une réflexion profonde et participative», pour que «les citoyens puissent choisir souverainement et démocratiquement les ressources qu'ils souhaitent consacrer à leurs projets communs: emploi, formation, retraites, inégalités, santé, développement durable, etc.». Pour M.El Elj, «le problème aujourd'hui n'est ni de réduire ni d'augmenter les impôts, mais plutôt de les remettre à plat, de mieux les répartir, de les rendre plus simples, plus équitables et plus lisibles». Equité et progressivité, deux piliers de la réforme fiscale Se penchant sur la réforme fiscale, l'universitaire a précisé que deux principes élémentaires doivent être pris en considération, à savoir celui de l'équité au niveau du prélèvement à la source «à revenu égal, impôt égal», et celui de la progressivité, c'est-à-dire la mise en place d'un système ou le taux effectif d'impôt soit réellement plus élevé pour les hauts revenus que pour ceux bas et moyens. Les mesures fiscales proposées par les partis politiques, se résument en quatre grands axes: fiscalité des entreprises, celle des personnes physiques, fiscalité indirecte et TVA et enfin gouvernance et modernisation du système fiscal. M. El Elj a affirmé que «la lecture des programmes montre que toutes les mesures retracent un allégement de la fiscalité sur les entreprises et sur les personnes physiques mais aucune remise en cause du mode de calcul de l'impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)». Tous les partis politiques, sauf le PDP proposent de relever les tranches de l'IRPP. En particulier, Ettakatol et Afek proposent de fixer la barre du revenu exonéré à des niveaux respectifs de 3500 DT et 5000 DT alors qu'Ennahdha le limite à 2500 dinars contre 1500 dinars, selon le barème actuel. Pour ce qui est des «Impositions des plus values, de la fortune et des donations», le chercheur a relevé que seuls le CPR et le PDM, proposent des réformes. Ainsi, le CPR suggère d'instaurer un impôt sur les plus values, en intégrant les profits sur biens mobiliers et immobiliers et le PDM préconise la création d'un IGF (impôt sur la grande fortune supérieur à 1,5 milions de dinars-MD-, hors résidence principale), à un taux de 1% du patrimoine total et une augmentation des droits de donation. S'agissant de l'impôt sur les Sociétés (IS), seuls Ettakatol, PDP et Afek proposent de réviser à la baisse le taux de l'IS. Ettakatol suggère une réduction généralisée de l'IS de 30% à 25%, alors que le PDP est pour une baisse plus importante de 30% à 20% pour tous les secteurs, à l'exception des domaines financiers, pétrolier et de la télécommunication (de 35% à 30%). Enfin, afin de lutter contre l'évasion et la fraude fiscale, la proposition d'AFEK consiste en la création d'un régime TPE (régime de la très petite entreprise dont le chiffre d'affaires (CA) est inférieur à 300 mille dinars) soumis à un taux réduit de l'IS à 12,5%. Le régime forfaitaire, au cœur du débat sur la réforme fiscale Concernant le régime forfaitaire, il n'a été évoqué que par le PDM et Afek, bien qu'il devrait être, selon l'universitaire «au cœur du débat sur la réforme fiscale». «Les forfaitaires, qui représentent près de 65% des contribuables, sont dispensés de la tenue de comptabilité, paient un impôt sur la base d'une déclaration forfaitaire souvent minimaliste et ne sont pas assujettis à la TVA. Ce régime représente «une prime à la fraude et ne contribue qu'à hauteur de 2% au titre des impôts sur le revenu», a-t-il estimé. Dès lors, AFEK propose, en vue de réduire les distorsions provoquées par la coexistence de deux régimes fiscaux concurrentiels (régime réel et régime forfaitaire), la création d'un régime fiscal de la micro-entreprise, en remplacement du régime forfaitaire, mais sans donner des précisions sur les spécificités de ce régime alors que le PDM propose de limiter au maximum les privilèges du régime forfaitaire à une catégorie restreinte d'entreprises, sans pour autant, préciser lesquelles. Pour ce qui est de l'allégement de la fiscalité, l'universitaire a relevé que «les différents programmes font apparaître plusieurs propositions de réformes complémentaires dans le domaine de l'allègement du fardeau de la fiscalité sur la trésorerie de l'entreprise». En fait, Afek propose des procédures unifiées pour la restitution de la TVA, Ennahdha et Ettakatol suggèrent un allégement de la procédure de la restitution du crédit d'impôt, et enfin Ennahdha propose une révision de la liste des biens importés soumis à l'avance, au titre de l'IS. Du côté des privilèges fiscaux, le PDM et CPR accordent un intérêt particulier aux investissements écologiques. De plus, le PDM considère que les projets de fonds sociaux au sein des entreprises devront aussi, faire objet d'incitations fiscales. Pour AFEK, les mesures d'incitation fiscales devraient cibler l'entrepreneuriat et l'investissement dans les activités à forte valeur ajoutée. Le PDP propose même, un dégrèvement fiscal de 100% sur les revenus ou bénéfices nets réinvestis dans les sociétés opérant dans les technologies innovantes et à forte valeur ajoutée. Ettakatol propose une exonération fiscale des revenus provenant des projets d'investissement dans le secteur de la culture et un allégement fiscal sur les revenus des entreprises qui investissement dans la Recherche-développement, et qui recrutent des diplômés du supérieur. Enfin, pour cibler les zones de développement régional, Ettakatol propose un allègement fiscal pour les investissements dans les zones prioritaires alors que le PDP suggère un dégrèvement fiscal total pour les investissements dans les zones de développement régional.