TUNIS, 16 fév 2011 (TAP)- M. Kais Saied, professeur de droit constitutionnel, a souligné que la Tunisie vit actuellement une dérive juridique non moins importante que la dérive sécuritaire que connaissent certaines régions du pays, mettant en garde contre l'existence de maintes violations des dispositions de certains articles de la Constitution, depuis le 14 janvier, violations qui versent toutes dans le sens de la prorogation de l'actuel président de la République par intérim à son poste pour une période plus longue, en l'absence d'un délai bien déterminé pour l'organisation de l'élection présidentielle et de la poursuite du maintien en vigueur de la Constitution ancienne qui ne répond plus aux exigences de l'étape décisive que vit les Tunisiens. Lors d'une rencontre, organisée, mercredi en fin de matinée, au siège du syndicat national des journalistes tunisiens, à Tunis, M. Kais Saied a souligné que les violations ont entaché les articles 57, 39, 40, 28 et 46 de la Constitution. Ces violations, a-t-il précisé, portent respectivement sur la qualité de celui qui assume la fonction de la magistrature suprême après la fuite du président déchu, sur la délégation au président par intérim du pouvoir d'édicter des décrets-lois, sur la question de la démission du gouvernement, sur la constitution d'un gouvernement d'union nationale et sur la prorogation de l'état d'urgence en l'absence d'un texte juridique en Tunisie régissant ces situations particulières. Au sujet de la situation constitutionnelle aujourd'hui en Tunisie, le professeur Kais Saied a fait état de plusieurs lectures juridiques de la situation actuelle, relevant l'existence d'une violation manifeste et délibérée des textes juridiques et de leur manipulation de manière à laisser croire qu'il est impossible d'organiser des élections présidentielle et législatives dans le délai prévu par la Constitution, et partant, de maintenir le président de la République par intérim à son poste, en vertu de l'avant-dernier paragraphe de l'article 39 de la Constitution, une attitude qu'il qualifie de manifestement contraire aux lois. Il a également relevé l'existence d'une autre violation de l'article 28 de la Constitution relatif à l'habilitation par le pouvoir législatif au président de la République par intérim de la compétence d'édicter des décrets-lois dans plusieurs domaines de la loi, ce qui a-t-il affirmé, laisse entrevoir un déclinatoire de la compétence législative vers le pouvoir exécutif. Il a indiqué que l'habilitation est dévolue par un pouvoir qui a du mal à représenter le peuple, ce qui constitue une atteinte flagrante à la Constitution. Le constitutionnaliste Kais Saied a considéré, par ailleurs, que l'annonce, mardi, 15 février, par le ministère de l'Intérieur, de la décision de maintenir l'état d'urgence est une mesure entachée d'un vice d'inconstitutionnalité, en l'absence d'une disposition juridique explicite à cet effet. Il a également indiqué que l'article 46 de la Constitution ne fait pas expressément allusion à ces situations et qu'une référence a été faite à la loi du 24 janvier 1969, réglementant les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements. Il a fait observer que la poursuite du recours au code électoral, dans sa version actuelle, laissera tout candidat à l'élection présidentielle à la merci des députés de l'ancien parti au pouvoir et de ses représentants au sein des conseils régionaux pour réclamer leurs appositions afin d'obtenir le quota prévu par la loi pour ces élections, ce qui commande, a-t-il précisé, de réviser impérativement les articles de ce code afin d'instaurer un pluralisme réel et effectif. M. Kais Saied a indiqué qu'il convient de rompre définitivement avec l'ancienne légalité devenue désormais caduque, du fait qu'elle ne représente pas la volonté du peuple, soulignant que la voie idoine pour faire sortir le pays du statu quo ante est d'appeler le gouvernement actuel à organiser des élections pour mettre en place une assemblée nationale constituante qui veille à élaborer une nouvelle Constitution, émanation de la volonté du peuple, avant de procéder à l'organisation des élections présidentielle et législatives. Le professeur Saied a ajouté qu'il est impératif d'établir un distinguo entre la continuité de l'Etat et la continuité du régime, soulignant qu'il importe au président de la République de garantir la continuité de l'Etat et de ses institutions et non de veiller à la continuité du régime. Il a précisé, dans ce contexte, que le gouvernement actuel peut poursuivre l'exercice de ses missions jusqu'à le retour à la normale des rouages de l'Etat, en attendant l'élaboration d'une nouvelle constitution qui répond aux aspirations et aux attentes du peuple. A la lumière des tractations politiques entre les différentes formations politiques au sujet de l'existence ou de la non existence d'une légalité constitutionnelle, le professeur Kais Saied a souligné que la Constitution tunisienne est aujourd'hui en état d'agonie après avoir subie les coups de boutoir des nombreuses lectures juridiques. Il a, en conclusion, affirmé que le peuple tunisien jouit pleinement de son droit de décider de son sort politique, loin de la tutelle de quiconque et de la politique des quotas.