Déjà prévue pendant son premier quinquennat avant d'être temporairement abandonnée dans un contexte de fronde et de crise sanitaire, c'est finalement ce début d'année qu'Emmanuel Macron a choisi pour mettre en œuvre sa problématique réforme des retraites. Problème, malgré la détermination de Macron, le texte dévoilé mardi par sa Première ministre Elisabeth Borne n'est pas au goût des syndicats et reste très impopulaire chez les Français. Déjà très éprouvé par un premier mandat marqué par les crises successives (Affaire Benalla, Covid-19, violences policières, etc), le chef de l'Etat démarre la nouvelle année dans un contexte social plus explosif que jamais. Imposer une reforme des retraites, qui prévoit principalement d'allonger l'âge de départ à la retraite à 64 ans d'ici 2030 apparaît très compliqué à un moment où l'Exécutif est déjà dans la tourmente avec une crise du système de santé qu'il n'arrive plus à résorber, une inflation désormais impossible à contenir, et des prix de l'énergie déjà insupportables pour les particuliers comme pour les professionnels. - Le risque d'une « explosion sociale » Les services de renseignement, qui sont donc par définition les services les mieux informés du pays, redoutent qu'une « explosion sociale » puisse aboutir à une « mobilisation citoyenne d'ampleur ». Dans une note confidentielle divulguée par BFMTV, les renseignements considèrent que « si la population ne se mobilise pas en nombre pour l'instant, la poursuite de la dégradation du pouvoir d'achat, couplée à des réformes mal perçues, pourrait conduire à une nouvelle mobilisation citoyenne d'ampleur ». Les craintes sont claires, la montée en puissance de mouvements sociaux est très redoutée du côté des autorités et des services de police. « Au-delà des traditionnels cortèges de voie publique, le mouvement pourrait se traduire par des grèves de longue durée dans plusieurs secteurs clés de l'économie (...) à l'image des actions engagées par la CGT (Confédération générale du travail) à l'automne dernier dans les raffineries », écrivaient même les services de renseignement dès mardi. Il n'aura fallu patienter que deux jours après la fuite de cette note dans la presse, pour que la CGT pétrole ne publie un communiqué laissant redouter de futurs désordres et pénuries dans les stations-service. L'organisation syndicale appelle en effet à plusieurs journées de grève dans les prochaines semaines pour protester contre la réforme des retraites, et envisage « si nécessaire, l'arrêt des installations de raffinage ». Mais le secteur pétrolier n'est pas le seul à se mobiliser et l'ensemble des syndicats ont initié une grève nationale d'ampleur qui doit toucher tous les secteurs jeudi 19 janvier, avant d'autres dates. Appuyée par les partis d'opposition (sauf la droite républicaine qui est en majorité acquise à la reforme), la fronde sociale et politique est donc définitivement en marche. - L'opposition vent debout et déterminée à faire plier Macron Si du côté des syndicats, toutes les organisations rejettent cette réforme jugée injuste, la classe politique n'est donc pas en reste et devrait causer quelques difficultés au gouvernement, notamment à l'Assemblée nationale où le texte doit etre soumis dans les prochaines semaines pour y être voté. Le parti LR (Les Républicains), majoritaire au Sénat, devrait être le seul à voter sans encombre, cette réforme controversée soutenue par son patron Eric Ciotti, fraîchement élu. Il est bien le seul dirigeant de parti à avoir qualifié cette réforme de « juste » et à la soutenir. À gauche, les différents organes politiques réunis sous la bannière de la NUPES (Nouvelle union populaire écologique et solidaire) sont déterminés à s'opposer, dans la rue comme dans l'hémicycle, au contenu de cette réforme des retraites. Pour le député David Guiraud, qui ne mâche pas ses mots, « cette réforme des retraites de Macron, c'est le corbillard après une vie de labeur. C'est faire payer aux classes populaires les cadeaux aux multinationales ». « Votre gouvernement est celui du désordre et de l'instabilité. Vous nous trimballez de crise en crise, vous assommez les consciences, vous étouffez les débats, en participant à créer des tempêtes sociales et écologiques. Et lorsque la tempête arrive, vous nous ordonnez de serrer les rangs, de nous taire et de ne plus rien contester », a-t-il lancé au Palais Bourbon, en début de semaine en s'adressant au banc des ministres. Estimant que le pays est « en errance, percuté par des crises à répétition », le député du Nord a ouvertement demandé au gouvernement « de partir » et demande « sa censure ». L'esprit est globalement le même du côté de la députée Alma Dufour, qui note dans plusieurs publications que « depuis 2010, le recul de l'âge de départ en retraite est allé plus vite que l'espérance de vie ». « Déjà depuis 2010 : la durée moyenne de la retraite était de 25,5 ans. Aujourd'hui 24,5 ans. Avec cette réforme, elle passerait à 23 ans », affirme l'élue de Seine-Maritime pour qui « reculer l'âge de départ en retraite fait avancer l'âge de la mort ». Mais cette réforme n'est pas rejetée qu'à gauche et l'extrême-droite de Marine Le Pen est elle aussi mobilisée pour la faire échouer. « J'avais prévenu les Français lors de l'élection présidentielle. En réalité, la retraite à 64 ans n'a qu'un seul objectif : faire baisser les pensions de retraite ! Plus personne n'arrivera à partir avec une retraite pleine et tout le monde sera obligé de partir avec une décote », a-t-elle déclaré mercredi en conférence de presse. La cheffe de file du RN (Rassemblement national) à l'Assemblée nationale souligne, par ailleurs, que « la réforme Woerth de 2010 était déjà censée sauver le système, et n'a rien sauvé et il a même été prouvé que le bénéfice budgétaire était nul ». - Grèves, manifestations, et Gilets jaunes à l'horizon Comme en 2018 avec le lancement certes informel du mouvement des Gilets jaunes, la majorité des mobilisations populaires s'organisent aujourd'hui sur les réseaux sociaux, de manière plutôt spontanée. Mais ce début d'année est particulièrement marqué par une mobilisation coordonnée, organisée, et concertée, avec les syndicats comme la société civile. Dans une déclaration à Anadolu, Eric, cadre chez Orange depuis 12 ans, se dit prêt à se mobiliser pour la première fois dans la rue pour « sauver les retraites ». « Je n'ai jamais manifesté de ma vie mais je sens qu'aujourd'hui, si on ne se joint pas aux mobilisations qui sont faites, cette reforme va s'abattre sur nous comme un rouleau-compresseur », redoute le spécialiste des télécommunications. Jeudi 19 janvier devrait donc marquer le point de départ d'une protestation qui devrait durer bien plus longtemps avec la multiplication des « journées noires » et le spectre d'un retour à des pénuries de carburant qui font planer sur la France le spectre d'une explosion sociale.