Qui aurait cru qu'un jour, la commémoration de l'assassinat du grand leader syndicaliste, Farhat Hached, se transformerait en boucherie où des Tunisiens dialoguent dans la langue du sang et discutent dans le langage de l'intolérance et de l'exclusion ? Lui, qui nous a légué sa célèbre phrase enceinte de tout un programme de civilisation, de tout un projet de société : « Ouhebbouka ya Chaab ! » (Ô Peuple ! Je t'aime !) ! Lui, là-bas, je le sens pleurer de ses larmes d'outre-tombe, je l'imagine frapper contre les portes de l'au-delà dans un désir désespéré de revenir dire une phrase de sagesse dans cette folie collective qui déchire la Tunisie et compromet son avenir. Qu'on le veuille ou pas, Hached est un symbole indélébile, un repère incontournable dans notre Histoire. Il est surtout un devoir de reconnaissance à la mémoire de la Tunisie que certaines voix anachroniques sont venues bafouer au nom de je ne sais quel dépaysement idéologique ou autre, reforçant leur obstination farouche et rancunière par une inouïe ingratitude à l'égard des militants des premières heures, des heures fondatrices. J'écoutais ce matin son fils parler de la projetée Fondation Farhat Hached et j'en étais fier ; je me voyais déjà fouiner dans ses archives pour mieux connaître l'homme, pour apprendre encore de son souvenir un surplus de rationalité dans l'engagement patriotique. Mais voilà, comble de l'absurde, qu'un bruit sourd de Tunisiens qui se font violence, qui sont sur le point de s'entretuer, répond aux battements de Hached par-delà le mur de la vie ! Et voilà que me revient en mémoire le propos d'un ami écrivain : « Je ne reconnais plus ma Tunisie ; je crois que je n'y ai plus ma place ; il est peut-être temps pour moi de partir ». Quoi ? Le suicide pour répondre à la tentative d'un nouvel assassinat de Hached ? Jamais ! Plutôt la lutte à mort, la mort en martyr pour souligner le scandale de la folie meurtrière ! Et ce dernier cri mêlé à l'ultime agonie : « Hached ! Réveillez-vous ; ils sont devenus fous ! ».