Il y existe des établissements qui visent des formations appliquées rapidement diplômantes, d'autres qui essayent d'offrir une chance de formation élitiste à des étudiants non sélectionnés par les ordinateurs de l'orientation pour le même type de formations et d'autres encore qui offrent, à ceux qui peuvent les payer, des formations de toutes sortes et de tous niveaux… La question de l'enseignement privé est épineuse. Elle ne peut être abordée que dans le cadre d'un débat de fond autour des deux questions suivantes : l'Etat doit-il, et à quelles conditions, le cas échéant, céder en partie son devoir d'éduquer et de former à des opérateurs privés, et l'éducation et l'enseignement supérieurs sont-ils des services comparables à d'autres pour que leur gestion soit confiée à d'autres instances que celles de l'Etat ? Ce n'est pourtant pas cet aspect éthique de la question que nous nous proposons d'aborder ici car une approche réaliste et pragmatique nous impose de considérer l'enseignement privé comme une réalité dont il convient de tenir compte. L'enseignement supérieur privé, auquel cet article est en particulier consacré, offre un vaste champ à la réflexion et présente à l'observateur un paysage caractérisé par sa complexité et ses contrastes. Ses opérateurs, s'ils sont représentés pour la plupart au sein d'une chambre syndicale active, ne se présentent pas tous en rangs serrés et semblent animés par des philosophies très différentes. Globalement, ce paysage est comparable à celui de l'enseignement supérieur public : il y existe des établissements qui visent des formations appliquées rapidement diplômantes, d'autres qui essayent d'offrir une chance de formation élitiste à des étudiants non sélectionnés par les ordinateurs de l'orientation pour le même type de formations et d'autres encore qui offrent, à ceux qui peuvent les payer, des formations de toutes sortes et de tous niveaux. L'enseignement privé vit ou vivote en faisant son miel des défaillances de l'organisation de l'enseignement étatique comme le système d'orientation, basé sur les résultats du baccalauréat et les notes de terminale, qui rejette les candidatures de bacheliers qui s'estiment capables de faire des études dans des branches prestigieuses ou lucratives et qui s'inscrivent dans le privé pour poursuivre leur projet contrarié par ce système d'orientation, ou encore comme l'orientation par défaut qui envoie des cohortes de bacheliers faibles, souvent rachetés grâce à la part de contrôle continu dans la comptabilisation de la moyenne du baccalauréat, vers des branches pour lesquelles ils n'ont aucune aptitude, ces étudiants qui finissent par s'orienter vers l'enseignement privé qui ne les soumet pas à cette orientation. Beaucoup d'opérateurs de l'enseignement supérieur privé se plaignent de la loi de référence à laquelle est soumis ce type d'enseignement et la trouvent inique, notamment par le fait qu'elle instaure un plafond financier à atteindre pour être autorisé à opérer dans ce domaine, mais estiment plus généralement le contrôle exercé sur leurs établissements par le ministère et la nécessité du visa de ce dernier pour la validation individuelle de son diplôme par chacun de leurs étudiants comme excessifs, et préféreraient être seuls responsables de leurs diplômes, considérant que le marché du travail est capable de faire le tri entre les diplômes correspondant à une formation efficace et les diplômes de complaisance, et ruinerait vite tout établissement qui s'aviserait de délivrer des diplômes n'attestant pas un niveau de compétence réel. Le ministère, quant à lui, défend son rôle de régulateur, s'accroche au droit de regard que lui donne la loi et exhibe à l'appui de sa position des cas d'irrégularités. L'obligation faite aux opérateurs privés de n'ouvrir de formation qu'après évaluation et approbation du ministère et le retard pris par celui-ci à faire effectuer ces évaluations par ses commissions spécialisées ont engendré des situations dramatiques où des formations ont été lancées par anticipation puis ont été refusées, laissant en plan des étudiants qui s'étaient inscrits et avaient même parfois eu un diplôme qui demeurait non validé, faute d'approbation par le ministère. Certains secteurs restent inaccessibles à l'enseignement supérieur privé, comme la médecine et la pharmacie, en dépit de l'existence de projets ficelés y compris au plan du financement et assurés quant à l'afflux d'inscriptions, mais il s'agit de secteurs sur lesquels les ordres de professionnels en exercice veillent et ces ordres ne semblent pas, pour le moment encore, accepter l'idée d'une compatibilité entre la privatisation de l'enseignement et la sauvegarde de son niveau d'exigence et de fiabilité. Cette question de l'exigence et de la fiabilité revient aussi dans une critique souvent adressée à certains établissements de l'enseignement supérieur privé, qui ne seraient pas très exigeants relativement au niveau de sortie de leurs diplômés pour peu qu'ils aient payé leurs droits d'inscription. Ces établissements sont taxés d'être des usines à diplômes mais ceux-ci répliquent que le niveau général des diplômes étatiques laisse aussi à désirer et que cela n'occasionne aucune remise en question de ce système ni d'évaluation rigoureuse des établissements publics les moins performants. Il est tout aussi incontestable que des établissements de l'enseignement supérieur privé, peu nombreux, il est vrai, se sont montrés capables de rivaliser avec les meilleurs établissements étatiques en obtenant, à des concours tunisiens ou étrangers ou sur le marché du travail, des résultats comparables à ceux de ces établissements, ce qui constitue une sorte d'évaluation extérieure objective. La gestion de cet enseignement par des non universitaires dans bien des cas n'est pas non plus sans poser problème. Il est vrai que le texte de loi fait obligation aux promoteurs des établissements privés d'avoir, dans leur staff, un universitaire mais, quelquefois, l'universitaire en question joue dans les faits le rôle mineur de conseiller, voire de simple caution vis-à-vis du ministère. Par ailleurs, le recours majoritaire, dans la plupart des établissements, aux cadres de l'enseignement public rémunérés en vacations parfois non déclarées par eux, en contravention aux règlements de leur profession qui leur font obligation de demander l'autorisation de leur établissement d'exercice s'ils accomplissent ailleurs des tâches rémunérées, rend inefficiente la contribution du secteur à la résolution du problème de l'emploi des diplômés, alors que des centaines de docteurs demeurent au chômage du fait de l'absence de perspectives d'employabilité dans le secteur de l'enseignement supérieur public pour certaines disciplines. La crainte du ministère de tutelle, qui hésite à libéraliser la loi relative à l'enseignement privé, est que la diminution du contrôle qu'il exerce ne contribue au développement de ces tendances. Un dialogue franc et direct, sans préalable, entre le ministère et tous les acteurs de l'enseignement supérieur privé, devrait permettre, à défaut de solutions définitives, de diagnostiquer les difficultés et d'identifier les obstacles et la responsabilité de chaque partie avec, comme finalité, le développement de ce secteur sur des bases contractuelles propres à rendre sa contribution au développement de notre pays plus visible et plus efficace. Plus de responsabilisation du secteur, sans que l'Etat ne renonce à son devoir de contrôle et de régulation, devrait pouvoir le faire avancer dans le bon sens, ce qui serait utile au secteur comme au pays, à condition que les opérateurs du secteur soient davantage solidaires et s'appliquent eux-mêmes une rigueur qui, en dernière analyse, leur serait bénéfique en débarrassant leur secteur des intrus, en y régulant la concurrence afin qu'elle soit loyale et que les meilleurs établissements ne souffrent pas de l'image négative que peuvent donner d'autres, et pour que leur investissement en argent comme en énergie aille vers les champs porteurs d'avenir et n'encombre pas notre marché du travail par définition exigu dans des spécialités où les diplômés de l'enseignement public forment déjà d'infinies cohortes de chômeurs. Il est aussi permis de rêver – tant que ce n'est pas encore interdit – d'un enseignement privé non lucratif qui viendrait épauler les efforts de l'Etat à titre bénévole mais les maigres ressources du pays et sa législation contraignante empêchent l'existence, comme aux Etats-Unis, de fondations aptes à financer, à des fins non lucratives, un enseignement non étatique de haut niveau et qui, si elles existaient, élèveraient le niveau général d'exigence de l'enseignement privé et serviraient de locomotive à ses établissements. C'est ainsi que devraient être perçus les établissements privés performants qui redorent le blason de ce secteur et démontrent au quotidien qu'investir dans l'enseignement supérieur privé, si certaines garanties existent, constitue une contribution de taille au développement de notre pays et à son essor.