Les islamistes sont devenus politiquement majoritaires sur les données arithmétiques des élections du 23 octobre 2011, bien que le peuple des élections ne soit pas le peuple de la révolution selon la formule de Yadh Ben Achour. Au gouvernement qu'ils ont dû quitter conformément à la feuille de route du dialogue national dont ils sont partie prenante, les islamistes et à un degré leurs alliés du CPR en voie de disparition, n'ont cessé de traiter leurs adversaires politiques surtout de gauche de «zéro virgule ». Ils les ont accusés, notamment au cours de l'année 2013, d' «intelligence avec des puissances étrangères». Ce discours a trouvé dans les mosquées un vecteur d'une importance plus que stratégique. Avec des imams qui partent tous les vendredis contre les laïcs, les juifs, les chrétiens, les communistes. Semant ainsi la confusion dans les esprits et cultivant le discours de la haine et du « takfir ». Mais depuis quelque temps, les islamistes se montrent de moins en moins arrogants dans leur approche de leurs adversaires politiques. Et par conséquent, leur discours ne cesse de changer avec la mobilisation de nouveaux concepts comme ceux de l'unité nationale, du consensus et de l'inclusion de toutes les forces politiques dans l'œuvre de refondation nationale. Il leur arrive même d'engager le début d'une autocritique. Avec comme donnée constante de ce discours : il n'y a pas de recettes-miracle qui permettrait à n'importe quelle formation politique de résoudre les problèmes qui se posent à la société tunisienne. Alors, faut-il voir une évolution idéologique et politique réelle des islamistes après l'épreuve de l'exercice du pouvoir pendant deux ans ? Ou faut-il voir dans cette démarche une duplicité de langage? Ou faut-il voir dans le discours des islamistes un simple jeu de marketing politique dans un contexte politique préélectoral ? On est tenté de répondre qu'il s'agit à la fois d'une évolution du discours de l'Islam politique suite à deux années de pouvoir, d'un discours dangereux qui joue sur la duplicité caractéristique de l'Islam politique et d'une opération de marketing politique avec un air de précampagne électorale. Sans pour autant oublier l'essence même de l'Islam politique : régénérer la société grâce à un investissement des enseignements originels du prophète Mohamed. C'est cette donnée fondamentale et fondatrice de l'Islam politique qui doit être gardée à l'esprit lorsqu'il s'agit d'analyser le discours de ceux qui s'en réclament. Le référentiel principal des gens qui défendent l'Islam politique est un référentiel religieux qui n'a strictement à voir les principes de la démocratie et des droits de l'homme dans leur acception universelle. L'appel à un retour aux pratiques du prophète est le corollaire obligé d'une démarche politique conservatrice qui ne peut en aucun cas se fondre dans une démarche de transformation conduisant à une société démocratique. Tout cela explique pourquoi la nouvelle version consensualiste du discours de l'Islam politique ne peut pas tromper le Tunisien aujourd'hui vigilant plus que jamais pour faire réussir la transition démocratique et déterminé à asseoir les fondements d'une société pluraliste dans hégémonie d'une majorité sur les minorités. De nombreux évènements qui ont marqué la vie politique au cours des deux dernières années montrent en fait que l'Islam politique ne peut plus mobiliser le mécontentement du peuple pour l'étouffer. La perte de confiance essentielle dans l'Islam politique n'est pas accidentelle. Elle provient de l'échec de l'Islam politique à trouver les remèdes nécessaires aux maux de la société. L'accent a été mis non sur la relance de l'économie et la sécurité du pays, mais sur des querelles de chapelles. Or, cette perspective ne correspond pas aux aspirations des Tunisiens avides de liberté, de dignité et d'emploi.