Par M'hamed JAIBI Les électeurs tunisiens en ont décidé dimanche, les islamistes sont majoritaires dans le pays. Ce verdict démocratique doit, quels qu'aient été les excès de la campagne électorale, faire l'objet d'un respect sans faille de la part de tous les citoyens du pays quelles que soient leur tendance ou leurs opinions. En 1991, j'avais, sur ces mêmes colonnes, adressé aux islamistes une lettre ouverte qui leur suggérait de procéder à «l'inévitable choix» entre la voie insurrectionnelle au pouvoir et la voie institutionnelle, celle de la démocratie électorale. Près de vingt ans plus tard, nos islamistes montrent, à travers un discours apaisé et un projet de société présentable, qu'ils sont plus mûrs pour adhérer à une logique républicaine de débat pluraliste, de compétition électorale et d'alternance pacifique. Cependant, il est aujourd'hui essentiel de voir toutes les forces politiques, sociales et associatives comprendre la nature du changement qui s'opère en Tunisie, et de saisir ses exigences, ses limites et les lignes rouges qu'il ne doit pas outrepasser. Grâce à la Révolution du 14 janvier 2011, la Tunisie est désormais une République démocratique par la volonté de sa jeunesse et de son peuple. Or, c'est à travers le texte de la future Constitution que cette République prendra sa forme légale, définira ses institutions, fixera ses règles démocratiques pluralistes et confirmera ses choix fondamentaux en matière de principes de base, de références et de valeurs. Le véritable examen de passage de la nouvelle majorité consistera en la capacité des islamistes tunisiens à participer activement à la conception d'une Constitution qui sache répondre, de manière consensuelle, aux aspirations de toutes les catégories de Tunisiens. Ce souci de consensualiste doit prévaloir également lors de la désignation du nouveau président de la République par intérim et dans la composition du gouvernement de cette deuxième transition, qui mènera la politique de la Tunisie durant la période de la Constituante. Les élections du 23 octobre, ne l'oublions pas, ne sont pas des élections législatives ordinaires mais un vote désignant nos représentants au sein de la Constituante. Le mandat populaire donné aux élus concerne donc l'élaboration de la Constitution de la IIe République. Et, même si la majorité dégagée est habilitée à légiférer durant une année pleine, elle est appelée à ménager, en cela, les partis et listes minoritaires, lesquels pourront, par moment et sur certains votes départager Ennahdha et ses alliés. Par contre, s'agissant de l'adoption des différents articles et clauses de la Constitution, le rôle actif de ces minorités est évident, puisqu'il est de coutume de recourir, dans ce cas, à une majorité des deux-tiers, voire, dans certains pays, des trois-quarts. De sorte que la majorité constituante doit impérativement faire appel à d'autres groupes d'élus parmi les non islamistes. Le consensus le plus large est recherché lors de l'élaboration d'une Constitution, car elle engage le pays sur des décennies. Le choix du mode de scrutin proportionnel procède justement d'une volonté de représentation la plus large et la plus variée, en vue d'un projet le plus consensuel possible. La démocratie parlementaire, dont se réclament aujourd'hui les islamistes d'Ennahdha, n'est nullement un simple moyen d'accéder au pouvoir, mais un état d'esprit et un système de gouvernement. Il y est essentiel de fonctionner de manière plurielle, d'accorder tous leurs droits aux minorités, d'organiser le débat avec toutes les expressions politiques, socio-professionnelles et associatives. Comme il y est fondamental que l'opposition joue pleinement son rôle dans l'équilibre du système, de concert avec tous les contre-pouvoirs que recèle la société civile. La démocratie tunisienne née le 14 janvier vient d'être consolidée, en les élections du 23 octobre, par une performance historique saluée par le monde entier. C'est cette Tunisie rayonnante qu'il s'agit de promouvoir quelle que soit la tendance de ceux des nôtres qui sont au pouvoir. De leur côté, les élus se doivent de manier le mandat réversible qui leur est confié avec doigté, et ne jamais oublier qu'au-delà des choix politiques et des différences au niveau du projet de société, la Tunisie doit rester au-dessus de toutes les considérations et demeurer la patrie de tous les Tunisiens sans la moindre exception. Jusqu'au jour de la prochaine alternance. Comme elle a été, avant le 23 octobre, celle des islamistes. Un beau pays où il fait bon vivre, malgré le chômage, les injustices et les disparités régionales. C'est pourquoi, il s'agit de bannir toute intention qui soit de transformer un vote démocratique en une prise de pouvoir insurrectionnelle. Les Tunisiens acceptent d'être gouvernés par des islamistes démocrates élus démocratiquement, mais ils refuseront un système de pouvoir islamiste.